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Cet aspect a d’ailleurs été remarqué dans le commentaire de Bernard Dorival qui présente l’œuvre, au sein de la monographie d’Andras Beck éditée en 1978 par ARTED (préface de Jean Cassou) :

« Dans le Masque de Saint-John Perse nous admirons la transfiguration du poète, sa présence spirituelle, presque immatérielle, mais qui s’impose à nous « dans la fumée des songes ». « Aux soirs de grande sécheresse sur la terre, nous deviserons des choses de l’esprit », écrivait le poète. « Et nous nous réjouirons des convoitises de l’esprit. » C’est cette quête « des choses de l’esprit » qu’exprime le Masque de Saint-John Perse, illuminé d’une couleur d’or, « couleur de choses immortelles ».
Andras Beck grava en 1964 pour la collection des Médailles de la Monnaie de Paris cette médaille de Saint-John Perse où l’on trouve déjà le hiératisme de l’expression qui culminera dans le Masque de 1969. Le profil, sculpté à la manière si personnelle de Beck, est conforme aux autres médailles que le sculpteur a réalisées pour la Monnaie de Paris : irrégularité des contours, modelé apparent, tous aspects qui tranchent tant avec les médailles traditionnelles commandées par la Monnaie de Paris.
L’aspect de portrait est néanmoins plus présent que dans le masque bien entendu, la stylisation y étant moins apparente certainement et l’image s’appuyant, on le devine bien, sur la physionomie contemporaine du poète, ce Saint-John Perse sexagénaire qui a reçu quatre ans auparavant le Prix Nobel de Littérature.









Pour sceller une amitié réelle, Andras Beck offrit à Saint-John Perse un bronze (ci-contre, photographié par Lucien Clergue), une « Aile » si compagne de cette « aile du songe » dépeinte par Perse dans Amers notamment.
Aux Vigneaux, Saint-John Perse avait eu le souci de mettre ce présent en valeur.


« Et la grande aile silencieuse qui si longtemps fut telle, à notre poupe, oriente encore dans le songe, oriente encore sur les eaux, nos corps qui se sont tant aimés, nos cœurs qui se sont tant émus… »
Amers, « Strophe », V.



















C’est en 1976, soit un an après la mort du poète que dans une sorte d’hommage, Andras Beck renoua avec l’univers poétique de Saint-John Perse. Chose très rare dans l’œuvre du sculpteur, Beck a choisi pour ce salut intime, d’illustrer un poème de Perse qui lui tenait particulièrement à cœur, à savoir le chant II d’Eloges, focalisé autour de la relation étroite de l’enfant avec son cheval. L’œuvre emprunte d’ailleurs son titre au début du poème : J’ai aimé un cheval.

« J’ai aimé un cheval – qui était-ce ? – il m’a bien regardé de face, sous ses mèches.
Les trous vivants de ses narines étaient deux choses belles à voir – avec ce trou vivant qui gonfle au-dessus de chaque œil.
Quand il avait couru, il suait : c’est briller ! – et j’ai pressé des lunes à ses flancs sous mes genoux d’enfant…
J’ai aimé un cheval – qui était-ce ? – et parfois (car une bête sait mieux quelles forces nous vantent)
il levait à ses dieux une tête d’airain : soufflante, sillonnée d’un pétiole de veines. »


  
La fascination persienne d'Andras Beck

Il faut savoir que le lien d’Andras Beck avec la représentation de Saint-John Perse ne date pas de cette œuvre majeure qu’est le Masque de 1969, mais que ce lien précède et excède l’œuvre. Tout indique effectivement qu’il s’agit là de l’apogée d’une réelle et longue fascination du sculpteur pour Perse. Le lien d’Andras Beck avec l’art et la littérature du XXe siècle est réel : tout au long de sa vie, Beck a entretenu des liens étroits avec des écrivains et artistes de renom. C’est une profonde admiration pour son œuvre qui conduisit Beck à nouer une relation privilégiée avec Saint-John Perse – relation qui a dépassé la fonction du portraitiste. Certes, Saint-John Perse a été et est encore l’objet de bien des représentations plastiques par nombre d’artistes, sensibles semble-t-il à son univers poétique. La Fondation a bien souvent par le passé rendu hommage à cette fortune de la représentation graphique de Perse. Mais il semble bien qu’Andras Beck ait réellement dépassé les frontières de cette lignée, ne serait-ce que parce qu’il fut ce portraitiste « adoubé » par le poète lui-même, mais aussi par le lien étroit qui exista entre eux et que l’on peut donc retracer à travers les œuvres qui témoignent d’une telle fascination…
  
Trois épreuves ont été tirées de ce masque de bronze, dont deux issues de la collection de Madame Leger : l’une trône majestueusement (bien qu’un peu trop en hauteur) à la Fondation Saint-John Perse d'Aix-en-Provence ; l’autre a été acquise par le Musée Saint-John Perse de Pointe-à-Pitre et est actuellement exposée dans le jardin de la villa Souques-Pagès ; une troisième épreuve figure au Musée d'Art et d'Histoire de la Ville de Meudon.
  
Andras Beck travaillant à son
Masque de Saint-John Perse en 1969
  
Il est modelé en cire, selon un procédé propre à l’artiste, et coulé directement en bronze, sans passer par les étapes intermédiaires du plâtre et du moule. Et ce modelage direct en cire permet un morcellement des plans sous les touches juxtaposées, en saillie, qui semblent porter encore l’empreinte sensible et la chaleur vivante de la main de l’artiste. Le masque est très mince, comme s’il n’avait pas de consistance matérielle. Les touches montent vers les trois éléments essentiels où se concentre la vie merveilleuse du masque : la bouche aux lèvres entrouvertes, au sourire narquois ; les yeux marqués par deux trous qui sont des portes de rêve ouvertes vers l’infini ; et le front très haut, très noble, interrompu du côté droit, mais dont les rides verticales reçoivent « l’ombre d’un grand oiseau qui passe sur la face » et exprime la souffrance humaine. Les vides qui s’ouvrent dans les orbites des yeux ont une force d’expression hallucinante. A l’absence du regard physique se substitue un regard spirituel qui va au-delà du monde visible. C’est le regard du poète dirigé vers l’imaginaire. La valeur expressive du modelage, par ses touches morcelées, vibrantes, par ses jeux d’ombres et de lumières, par sa dynamique d’ascension, détermine un mouvement à l’intérieur de l’image. Dans ce masque, l’artiste à réussi « à penser la matière, à rêver la matière, à vivre dans la matière, à matérialiser l’imaginaire ». Ainsi nous relève-t-il l’âme du poète, dans la ferveur du bronze et l’éclat de la lumière. » © ARTED
Dans le cas du masque d’Andras Beck (qui constitue une manière de logo pour sjperse.org), comment ne pas distinguer dans le style même de cette représentation, tant d’aspects en accord avec l’image de Perse lui-même ? Ainsi, ce hiératisme, cet élan intérieur, ce dépouillement à l’antique du visage, cet aspect d’ébauche à la fois fragile et immuable, répondent intimement avec une idée particulière du Poète, qui est celle que Perse a tant forgée dans ses textes mêmes : l’émetteur de ces « propos bisaiguës » prononcés « de profil », cet étranger parlant « langue d’aubaine », ce double sage du prince… et encore tant de repères peuvent se retrouver dans ce masque. Il est certainement question ici d’un compagnonnage artistique (un peu de l’ordre de celui qui lia Perse à Braque pour Oiseaux), que celui qui conduisit Beck à saisir aussi justement une image forte et importante aux yeux du poète pour la traduire en une incarnation sensible ; un dialogue fécond entre le poète et le sculpteur a certainement contribué à cette si étonnante symbiose.




  
Une représentation idéalisée

C’est en 1969 que le grand sculpteur hongrois Andras Beck réalisa le splendide et essentiel Masque de Saint-John Perse en bronze que le poète choisit en 1972 pour orner la couverture du volume de ses Œuvres complètes dans la collection de la Pléiade. C’est dire combien Perse tenait à cette réalisation, où Andras Beck semblait avoir si bien capté l’image intérieure de la représentation personnelle du poète. Tout laisse à penser que cette réalisation fut pour Saint-John Perse le portrait imaginaire qu’il voulut laisser à la postérité (un peu ce qu’il rechercha également auprès de Lucien Clergue et de ses photos prises aux Vigneaux). Lucien Clergue a effectivement témoigné de ce souci qu’avait le poète vers la fin de sa vie, de laisser une représentation de lui-même qui fût fidèle à une image intime, une image intériorisée et pensée. Bien sûr, certains penseront encore qu’il s’agit là d’une illustration supplémentaire de mégalomanie ; le geste est pourtant plus signifiant en ce qui concerne Perse, quand on se souvient que dans son cas, la représentation de sa personne se confond avec la représentation qu’il se faisait du Poète. Le geste du choix de cette représentation en 1972 pour le volume de la Pléiade n’est donc pas un hasard : il exprime une symbiose.






  
Le masque de bronze
Saint-John Perse par Andras Beck