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Chronologie de l'édition des Œuvres complètes

Etablie par Corinne Cleac'h Chesnot pour l'exposition "La Pléiade de Saint-John Perse :

un autoportrait poétique" (Fondation Saint-John Perse, avril - juillet 2006)


1945

· À l’occasion de l’édition du recueil Exil, Gaston Gallimard parle de réunir en volume les œuvres de son ami et avoue « rêve[r] aussi d’une édition dans la Pléiade ».


1951

· Saint-John Perse demande à Gallimard d’étudier un projet d’édition complète de ses œuvres dans la collection de la « Pléiade ». L’entreprise se révélant « techniquement irréalisable », les œuvres poétiques de Saint-John Perse seront publiées en 1953 chez Gallimard dans une édition courante.


1960

· Devenu Prix Nobel de littérature, Saint-John Perse relance son projet de « Pléiade », en demandant à ce que l’on déroge pour lui à la clause du post mortem, et obtient l’assentiment de Gaston Gallimard.


1966

· Il presse Gaston Gallimard de réaliser la « Pléiade » et propose un premier plan. L’éditeur lui demande d’étoffer ses œuvres, par la publication de son journal d’exil susceptible d’apporter « une valeur éclatante d’inédit ». Refus de l’écrivain qui propose sa correspondance toujours inédite.

· Tandis que le responsable éditorial Robert Carlier rassemble la correspondance, il rédige les notes.

· Il abandonne l’idée d’utiliser comme préface le texte de Roger Caillois « Poétique de Saint-John Perse ».

· Il joint au volume une note biographique rédigée par lui-même pour l’étude critique de Jacques Charpier (Saint-John Perse, Paris, Gallimard, 1962, « La Bibliothèque idéale »).


1967

· Le poète prend totalement en charge la direction du volume et élabore un second plan.

· Travail considérable pour l’établissement de la bibliographie et de la correspondance.

· Il consacre un an à l’écriture et la réécriture des « Lettres d’Asie » .


1969

· Réalisation par le sculpteur hongrois Andras Beck du masque du poète, qui sera placé en couverture.


1970

· Envoi du dossier définitif des « Lettres de jeunesse ».

· Crainte de Saint-John Perse de voir « cette malheureuse édition tourner à l’édition posthume ».

· Achèvement du volume en juillet.


1971

· Visite de Robert Gallimard en juin.


1972

· Correction des épreuves par le poète affaibli par l’âge et le cancer, avec l’aide d’Albert Henry.

· Sortie du volume le 27 novembre 1972, accueil enthousiaste de la critique et du public.


1975

· Donation de ses collections à la Ville d’Aix-en-Provence et institution de sa Fondation.

· Mort de Saint-John Perse dans sa maison des Vigneaux à la presqu’île de Giens.


1978

· La biographie de la « Pléiade » est complétée par Pierre Guerre. Des coquilles sont corrigées.


1982

· Nouvelle édition, légèrement corrigée, augmentée des derniers poèmes Nocturne (1972) et Sécheresse (1974). Il est enfin précisé que le volume a été « entièrement conçu et rédigé par Saint-John Perse comme un tout ».


1989

· Nouveau tirage avec un « guide bibliographique ». Un complément biographique scelle le volume en déclarant que seule la Fondation Saint-John Perse pourra désormais le compléter par d’autres publications.

1991

· Catherine Mayaux démontre dans sa thèse de doctorat que la plupart des « Lettres d’Asie » ont été écrites pour la « Pléiade »

1997

· Projet d’une nouvelle édition dotée d’un appareil critique d’environ 300 pages. Les travaux des spécialistes de l’auteur (Joëlle Gardes Tamine, Colette Camelin, Catherine Mayaux et Renée Ventresque) seront finalement publiés à part, aux éditions de la Licorne en 2002, sous le titre Saint-John Perse sans masque : lecture philologique de l’œuvre.

  

C’est, il faut l’avouer, le point nodal des controverses qui ont couru au sujet d’un Saint-John Perse jouant de la mystification pour imposer sa réception ultérieure, quand au contraire les critiques ont dans leur ensemble réussi à mettre au grand jour les soubassements intellectuels de cette aventure éditoriale et finalement, de ce geste créateur. Le mérite, une fois de plus, est d’ordre « philologique », car si de l’extérieur de cette connaissance-là, on continuera encore à l’avenir à crier à l’imposture de la part de l’écrivain, ces études critiques sont désormais des acquis tangibles sur lesquels il est possible de s’appuyer pour mieux appréhender l’intention que révèle le geste, certes iconoclaste.

Projet et processus de la Pléiade


À dire vrai, si on a pu retracer le processus qui a conduit Perse à réaliser ce tour de force, avec l'aval de Gallimard, restent à établir, en dehors même des étapes de l'élaboration en tant que telle, les prémisses de la réalisation, car tout porte à constater que ce projet a été longuement porté par le poète : au milieu des années soixante, Saint-John Perse va s'atteler à la concrétisation de ce projet qui débouche sur l'édition effective, en 1972, soit trois ans avant sa mort.


Au gré des études publiées ces dernières années (mais surtout d'une reconstitution rigoureuse de toute cette évolution, établie par Renée Ventresque dans un article paru dans Souffle de Perse en 1997 - voir bibliographie), il est possible aujourd'hui de retracer l'ensemble de ce processus à la fois habile et méthodique par lequel le poète a réussi à se faire le maître d'oeuvre de "sa" Pléiade.




  

Le mémorial de la poésie et du Poète


On l’a déjà dit abondamment : le cas des Œuvres complètes de Saint-John Perse dans la collection de la Pléiade de Gallimard est en soi un « phénomène » de l’édition littéraire. Cas unique dans la collection, déjà parce que Perse appartient au cercle restreint des écrivains « pléiadisés » de leur vivant. Mais si René Char, Julien Gracq ou Marguerite Yourcenar ont quant eux pu superviser l’édition de leurs œuvres dans la prestigieuse collection de Gallimard, il ne s’agit pas seulement dans le cas présent d’une direction des opérations ordinairement confiées, est-il utile de le préciser, à quelque universitaire spécialiste dûment adoubé pour sa technicité et sa fine connaissance de l’œuvre, mais d’une complète « auto-édition » : le poète a entièrement pris en charge ce volume, sans que jamais il y soit fait mention. Le mystère plane encore, pour qui ne connaît les arcanes secrètes de cette aventure : le lecteur lambda est censé y découvrir la « Biographie » d’un haut personnage, l’œuvre sous écrin, la correspondance héroïque d’un poète de haute destinée. En somme, tout a été conçu ici pour que le charme durable agisse, et c’est encore très largement le cas. Un poète donc qui, durant les dix dernières années de sa vie, va modeler, avec l’accord explicite de son éditeur, son monument littéraire laissé à la postérité, continuant la poésie par un geste de sacralisation qui est rituel autant qu’œuvre d’art.







  

L'élaboration des Œuvres complètes

L' "œuvre œuvrée" de la Pléiade                                                        

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© 2014 Saint-John Perse, le poète aux masques (Sjperse.org / La nouvelle anabase). Site conçu, écrit et réalisé par Loïc Céry.

  

La poésie sur papier Bible, même dans cet agencement si contrôlé, n'est pas l'œuvre en mausolée : pour l'avoir trop cru, on a aussi négligé cette dynamique propre de l'ouvrage qui mérite, certes, une sorte de progressif apprentissage pour que son usage puisse rehausser l'adhésion, mais qui est aussi un pari audacieux fait devant un lecteur lui aussi autonome et qui doit se hisser au niveau de l'intention qui a présidé à tout ce projet. Certains, nombreux, ne supportent toujours pas que Perse ait pu retoucher et créer une bonne partie de sa correspondance, d'autres ne voient dans le portrait glorieux du poète qu'une entreprise mégalomaniaque. Les controverses développées sous ces griefs relèvent surtout d'une sorte de cécité face à la profonde unité de l'oeuvre avec ce geste qui la prolonge. Fort heureusement, les apports de la critique, encore une fois, sont en la matière fondamentaux, qui permettent de mieux cerner les enjeux de la réécriture et de la pure création.

Photographié aux Vigneaux par Gisèle Freund, le poète pose avec l’autorité tranquille du maître d’œuvre de son « édition de la Pléiade » (le dossier qu’il tient sous son coude).

  

Ce type de stratégie en dit long, en somme, sur l'état d'esprit de Perse au moment de la composition du volume de ces oeuvres complètes, de la part d'un auteur qui, lui, savait bien de quoi il retournait en matière de... dissimulation - entendons bien dissimulation pensée et comme soumise à un dessein général, et non le fait d'un simple caprice. Tout devait être fait pour que nul ne se doute des tours et détours de l'établissement d'un autoportait savamment agencé, et si les stratagèmes déployés dans ce cas peuvent sembler bien dérisoires, ils sont surtout signifiants de cette volonté de secret qui entoure alors la mise en place des Oeuvres complètes. C'est du reste, sur ce point que l'enquête effectuée par Renée Ventresque à partir de la correspondance échangée avec Robert Carlier, permet de bien distinguer une progressive prise de contrôle, qui est totale à partir de 1967, Carlier ne faisant alors qu'exécuter la réalisation du Maître. Différents plans d'ensemble et de détail se succèdent, mais c'est surtout donc à partir de 1967 qu'est arrêtée, à peu de choses près, l'organisation de ce qu'il appelle "mon Pléiade", dans quelques lettres. Le premier plan général, qui date de 1966, s'assimile plutôt à une ébauche de ce que nous connaissons aujourd'hui : le volume sur lequel va déboucher tout le travail d'élaboration personnelle pris en main par le poète découle de ce que Renée Ventresque distingue comme le vrai "tournant" de 1967, année à partir de laquelle est en marche ce que nous avons appris à considérer depuis lors comme un "monument" dûment et profondément pensé - volontairement d'ailleurs, au détriment du dernier recueil poétique en cours alors, Gaïa, dont ne subsisteront que les bribes que sont les ultimes poèmes provençaux. Le poète se consacre donc à cette préparation de l'édition de la Pléiade, on doit le reconnaître, comme à sa dernière "oeuvre" : cette "oeuvre oeuvrée" dont il est question dans le Discours de Florence, et qui n'est pas la seule compilation de la production littéraire, mais l'agencement de tout un ensemble vivant, puissamment dynamique, où l'oeuvre poétique appelle la prose et jusqu'au réseau souterrain (rhizome, dirait Glissant) des hommages, témoignages, notes, notices...



Si le projet général débute dès 1960 avec les premières discussions avec Gaston Gallimard à propos d'un seul et même volume d'Oeuvres complètes dans la Pléiade, si par la suite, le poète fait preuve d'une ténacité toute particulière pour régulièrement relancer l'éditeur à propos du projet, le processus effectif de l'élaboration de l'ouvrage s'étend de 1965 à 1970, avec le tournant de 1967qu'on a dit, donc sur cinq années qui voient grandir peu à peu le dessein de cette entreprise inouïe d'un testament littéraire, certes, mais surtout d'une œuvre autonome.

Robert Carlier

Gaston Gallimard

C'est d'abord auprès de Gaston Gallimard lui-même, qui tient en Perse l'un des piliers essentiels de la NRF des débuts, que le poète, dès 1960 au moment du Nobel et au gré d'une correspondance qui atteste bien de son insistance en ce sens, va obtenir de figurer de son vivant dans la prestigieuse "Bibliothèque de la Pléiade". Le processus peut alors débuter : d'un commun accord avec Gallimard, Saint-John Perse décide d'augmenter ce volume des Œuvres complètes, mis à part la poésie proprement dite, de tout un appreil complémentaire fait de la correspondance et de textes en prose, qui rehaussent le portrait en pied du Poète idéal édifié pour la postérité. Jusqu'en 1970, il collabore donc avec Robert Calier, responsable éditorial chez Gallimard, à qui il expose progressivement le profil définitif du volume. La correspondance échangée avec lui, étudiée par Renée Ventresque nous renseigne considérablement sur les différentes phases de cette construction progressive.


C'est en 1966 que le poète impose l'idée d'ouvrir le volume par cette "Biographie", préférée finalement à l'idée initiale de Poétique de Saint-John Perse de Caillois en guise d'introduction. Ce texte, entre mythification d'une vie et portrait du Poète, Saint-John Perse l'a en fait écrit secrètement pour la monographie de Jacques Charpier publiée chez Gallimard en 1962 dans la collection "La Bibliothèque idéale". Tout se passe comme si en vérité, cet acte venait préparer l'utilisation du texte pour le volume de la Pléiade, car il est utile de préciser que dans l'ouvrage de Charpier, le texte est publié sans qu'il soit précisé que Perse en est l'auteur. Il devenait par conséquent possible, dix ans après, que cette "Biographie" soit reproduite dans le volume de la Pléiade, en tant que référence établie - alors même qu'il s'agissait donc d'un texte soigneusement composé et agencé par les propres soins du poète dans le grand style des vies illustres, puis confié à Charpier sous le saut de la confidence. Et il est vrai, par conséquent, comme le dit Renée Ventresque, qu' "il est du coup piquant de lire dans la lettre du 7 avril 1962 que le poète écrit à Jacques Charpier" - lettre reproduite bien sûr comme il se doit dans la correspondance consignée dans la Pléiade :


"Cher ami,

J'ai renvoyé, il y a quelques jours, le manuscrit complet de votre "Saint-John Perse", que Gallimard avait tenu à me communiquer, sans que je l'aie jamais demandé. Je l'ai renvoyé, bien entendu, sans observations ni modification (me bornant à corriger pour vous la bibliographie) [...].

Je m'empresse d'ajouter que si j'avais eu à revoir avec vous votre rédaction, je n'aurais rien eu à suggérer. J'ai trouvé votre étude heureuse, intelligente et très sensible dans tout l'ensemble de son interprétration.

Le fait est pour moi d'autant plus remarquable que nous n'avons jamais, oralement ni par lettres, échangé deux mots sur le fond même de cette étude, que vous n'avez eu en rien mon assistance, et que cette compréhension de votre part ne peut relever que d'affinité personnelle et d'intuition vraiment poétique [...]. A mes yeux, vous savez "what is at stake in poetry". "




  

BIBLIOGRAPHIE


· Colette Camelin, « Les Œuvres Complètes de Saint-John Perse » in Modernité de Saint-John Perse, colloque de Besançon, mai 1998, Besançon, Presses universitaires, 2001, p. 252-264.

· Joëlle Gardes Tamine [sous la dir. de], Colette Camelin, Catherine Mayaux, Renée Ventresque, Saint-John Perse sans masque : lecture philologique de l’œuvre, Poitiers, La Licorne, 2002.

· Catherine Mayaux, « La forme d’une œuvre : l’auteur au regard de ses Œuvres Complètes » in Aspects de la critique, colloque Birmingham - Besançon, janvier 1996, Paris, CNRS, 1998, p. 117-127.

· Catherine Mayaux, Les lettres d’Asie de Saint-John Perse, les récrits d’un poète, Cahiers Saint-John Perse, N°12, 1994.

· Sacotte (Mireille) : Saint-John Perse, Paris, Belfond, 1991, 340 p. [réédité aux éditions de l’Harmattan en 1997].

· Renée Ventresque, « Les étapes et les enjeux de l’élaboration de l’édition des Œuvres Complètes de Saint-John Perse dans la Pléiade à travers la correspondance inédite Saint-John Perse/Carlier » in Souffle de Perse, N° 7, 1997, p. 76-89.

· Renée Ventresque, Saint-John Perse dans sa bibliothèque, Paris, Honoré Champion, 2007.