Destitué de ses fonctions de Secrétaire général du Ministère des Affaires étrangères par Paul Reynaud après avoir été dénoncé comme belliciste, Alexis Leger est mis en disponibilité (ayant refusé le poste d’ambassadeur à Washington). Il rejoint sa mère au Pyla, et embarque pour l’Angleterre d’abord (où il rencontrera Churchill), puis vers le Canada et les Etats-Unis. A son arrivée, Leger est privé de tout soutien, et les premiers temps de son séjour américain vont être très difficiles matériellement. Pour celui qui était coutumier des ors de la République, la transition est brutale. C’est, n’en doutons pas, la brutalité même de ce bouleversement, qui va marquer profondément ces premiers poèmes américains qui vont constituer le recueil Exil.
La dureté des conditions matérielles qui sont alors les siennes ne va réellement être dépassée que quelques mois plus tard, quand il entre en contact avec le poète et directeur de la Bibliothèque du Congrès, Archibald MacLeish, qui lui propose un poste de consultant au sein de cette prestigieuse institution de Washington.
A la même période, Leger rencontre les Biddle : Francis Biddle, juriste influent qui, à partir de 1941 sera la ministre de la justice du gouvernement Roosevelt, et son épouse Katherine Garrison Chapin Biddle, femme de Lettres : ils seront, avec Mac Leish et plus tard Mina Curtiss, des soutiens importants et efficaces pour le poète, concourant à l’amélioration de sa situation matérielle, et lui garantissant peu à peu les conditions optimales pour une reprise de son activité littéraire. Il est d’ailleurs d’abord réticent à cette reprise de son œuvre de poète, puis peu à peu, retrouve là le vrai terrain de cette « course de Numide » dont parle « Exil » : le destin d’un poète se voit certainement renforcé dans ce basculement général…
Exil de Saint-John Perse à l'entrée de l'ENS Séminaire organisé en 2006 par Sjperse.org
pour le concours d'entrée à l'ENS
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Une genèse d'Exil, épreuves et conquêtes
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“A dire aussi le vrai, je venais de plonger ici dans un de ces abîmes de solitude et de mutisme d’où l’on a peine à remonter, parce qu’on y égare, simplement, toute notion de temps.“ C’est alors que, dans un prodigieux mouvement de bascule, la poésie reprit ses droits. (…) Pas question pour lui de retenir le passé, de pleurer sur les ruines, en héritier des romantiques. Il s’attache plutôt à saisir l’instant présent et à inventer une langue capable de mimer le rythme, la mélodie, la séduction secrète des éléments cosmiques. (…) C’est ainsi que, redécouvrant le pouvoir magique détenu par la langue de lier l’homme aux éléments cosmiques et, mieux encore, de transformer le monde, le poète réapprendra peu à peu à vivre. »
« Une photographie, prise quelque temps après son arrivée à New York, le montre contemplant l’immensité des gratte-ciel, tournant le dos à l’objectif, la tête inclinée et l’air sombre. L’espoir du retour s’était éclipsé : le gouvernement de Vichy l’avait frappé de déchéance de la nationalité française et radié de l’ordre de la Légion d’honneur, avait confisqué ses biens et, simultanément, laissé mettre à sac son appartement parisien par la Gestapo. En outre, aux humiliations s’ajoutait l’angoisse de ne pas connaître le sort de ses proches restés en zone occupée. Cependant, pour la postérité à qui il destinait un personnage construit, voire reconstruit, par ses soins, il restera discret en confidences sur le désarroi des premiers temps de l’exil américain : des informations dans la “Biographie“ du volume de la Pléiade rédigées sur un ton aussi laconique que celui utilisé dans le récit de son départ de la Guadeloupe ; certaines formules appuyées de gratitude adressées aux nouveaux amis américains en échange de leur hospitalité ; une seule confession, mais poignante, dans une lettre adressée à Archibald MacLeish, à qui il devra un poste modeste de conseiller littéraire à la bibliothèque du Congrès à Washington :
En 1940, tout étranger sur le sol américain doit régulièrement signer cet "Alien Registration Form". Saint-John Perse s'en souvient dans son poème.
Bien après ces années d’épreuve, on constate encore chez lui, la trace vive du déshonneur et de la chute de 1940 : dans ses archives privées conservées à la Fondation Saint-John Perse, Alexis Leger avait conservé les coupures du Journal officiel, par lesquelles il avait appris alors sa déchéance de la nationalité française et sa radiation de l’ordre de la Légion d’honneur par le gouvernement de Vichy, ainsi que la mise sous séquestre de ses biens.
Il faut rappeler que Leger appartient à cette catégorie de hauts fonctionnaires de la IIIe République, si attachés à la légitimité ; le choc a du être rude, de ce passage brusque des postes de commande de la politique étrangère française (durant de surcroît un temps record aux fonctions qui furent les siennes), à la condition du « Proscrit » (celle-là même dont il est encore question dans « Exil »).
Avant cette seconde phase de son séjour américain qui sera facilité par ces hautes personnalités qui deviendront aussi des amis proches, ce sont donc les premiers temps d’un exil réel, avec ses accents de vertige personnel, de perte de ce qui faisait encore peu les repères d’un parcours – ce ne sera pas pour déplaire à une personnalité qui s’est toujours renouvelée dans les obstacles mêmes : depuis le premier arrachement à l’île natale, ce qui motive la poétique qu’on découvre dans Eloges et dès les Images à Crusoé, ce sont à vrai dire les chances de rupture avec tout assoupissement. Il existe dont chez cet homme une éthique de la poussée vers l’en-avant, idée qui se réaffirme en lui à cette période donc, à savoir que le risque de la vacuité doit être affronté coûte que coûte, dans le but d’un renouveau radical. A propos d’une fameuse photographie qui immortalise un peu les premiers temps de cet exil américain, voici ce que dit Henriette Levillain (Saint-John Perse, Publications de l’ADPF, 2005) :
Les deux exils d’Alexis Leger
Après le départ de la Guadeloupe, ce déchirement de l’enfance d’où naîtra le poète (et mis à part le séjour en Chine), le second exil forcé de Saint-John Perse est donc celui qui le mène en 1940 aux États-Unis. Matrice d’une nouvelle identité, celle de l’Étranger, ou plutôt, serait-on tenté de dire, restauration de cette lointaine identification. En tout cas, l’exil est bien une réalité pour Leger quand, en ce 14 juillet 1940 (quand le destin rencontre le symbole), il arrive à New York, sous le statut de l’ « Alien Registration Act », récemment voté par le Congrès américain, et dont se souviendra l’auteur de « Poème à l’Etrangère ».