Naissance du projet
C'est à l'initiative très inspirée d'une petite maison d'édition provençale de livres d'art que l'on doit l'idée de la collaboration artistique entre Saint-John Perse et Georges Braque. A l'occasion des quatre-vingts ans de Braque, François et Janine Crémieux, directeurs de la maison d'édition "Au Vent d'Arles", proposèrent au peintre la publication d'un album consacré à ses dernières lithographies élaborées autour du thème de l'oiseau, sous le titre de L'Ordre des oiseaux. Les Crémieux, qui avaient déjà réuni Picasso et le poète Pablo Neruda pour un ouvrage intitulé Toros, eurent l'excellente idée de contacter Saint-John Perse pour la commande d'un texte accompagnant les oeuvres de Braque. Le poète accepta, en précisant dans une lettre à Janine Crémieux, datée du 26 janvier 1962 :
"Je ne croyais pas devoir un jour déroger à l'interdiction que je me suis toujours faite de tout écrit de circonstance. Votre [...] lettre me laisse sans défense. Indépendamment de mon admiration pour l'œuvre du Peintre dont vous vous apprêtez à fêter le 80ème anniversaire, l'homme Braque m'est profondément sympathique. Si cela peut lui faire le moindre plaisir d'avoir mon voisinage à cette fête de ses Oiseaux, je le rejoindrai de bien grand coeur - et même un peu fraternellement, car ce mois de mai est aussi celui de ma naissance" (Cahiers Saint-John Perse, no. 10, Correspondance Saint-John Perse/Jean Paulhan, 1991, p. 208).
Oiseaux, la poésie ailée
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La collaboration des deux artistes
Ayant signifié son accord au projet de Janine Crémieux, Perse approuve également le titre de l'album, L'Ordre des oiseaux, tout en prévoyant une édition ultérieure de son seul poème, sous le titre de Oiseaux. C'est que par-dessus tout, il tient à l' "indépendance" de son texte, dans cette entreprise conçue non pas comme une illustration, mais comme un réel compagnonnage. Aussi, il semble bien que la genèse du texte de Oiseaux ait préexisté à la proposition de collaboration avec Braque, et le poète précise dans une lettre à Jean Paulhan :
"[...] me sachant [...] incapable d'écrire un poème de circonstance, je m'en suis tiré indirectement par cette "méditation poétique" sur l'Oiseau en général et sur l'Oiseau de Braque en particulier" (Lettre à Jean Paulhan du 10 mars 1962, in Cahiers de Saint-John Perse no. 10, p. 211). Dans le volume de la Pléiade, il précise également dans une autre lettre à Paulhan, que "les références à l'Oiseau de Braque" furent "ajoutées après coup" (O.C., p. 1030). De son côté, Braque fut très satisfait de l'accord de Saint-John Perse et lui écrivit le 21 mars 1962 que la lecture de Oiseaux l'avait "beaucoup ému" (Catalogue d'exposition Les oiseaux et l'œuvre de Saint-John Perse, 1976, p. 125).
Ci-contre : quelques images de l'exemplaire de L'Ordre des oiseaux
conservé à la Fondation, avec la dédicace de Georges Braque (JD. Bonan)
S'il parle de Braque en ces termes chaleureux, c'est parce que Perse a eu à deux reprises l'occasion de le rencontrer personnellement. La première fois fut le 26 novembre 1958, où il lui rendit visite à son domicile, accompagné de son épouse et de Jean Paulhan - à qui revient d'ailleurs l'idée de cette rencontre, immortalisée par une photo prise par Mme Braque, Mariette Laghaud (ci-contre).
La seconde rencontre eut lieu en décembre 1961, comme le rapporte d'ailleurs la "Biographie" des Oeuvres Complètes de Saint-John Perse dans la Pléiade :
"Bref séjour à Paris où il dîne avec Georges Braque en compagnie de Jean Paulhan" (O.C., p. XXX). Il faut croire que Saint-John Perse avait retenu un très bon souvenir de ces entrevues, puisque sa collaboration avec Braque fut la seule qu'il consentit avec un plasticien. Si de son côté, Braque illustra plusieurs fois des oeuvres poétiques (que ce soit pour Les Ardoises du toit de Pierre Reverdy en 1918, ou la Lettera amorosa de René Char en 1963), le lien de Saint-John Perse aux arts plastiques paraît en revanche plus problématique. Dans sa jeunesse, il fut ébloui par un tableau de Gauguin qui lui inspira même un poème en 1902 (L'Animale), mais sa réticence envers la peinture n'en demeura pas moins marquée - surtout en comparaison de son engouement constant pour la musique. La concrétisation de cette collaboration avec Braque n'en est que plus précieuse, compte tenu surtout de la subtilité artistique qui en résulte.