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LA CONSTELLATION DES VOIX                 Saint-John Perse à voix haute

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LECTURES DE "SCHOLARS" - La ferveur des connaisseurs

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© 2014 Saint-John Perse, le poète aux masques (Sjperse.org / La nouvelle anabase). Site conçu, écrit et réalisé par Loïc Céry.

  

Saint-John Perse                     


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Amers, "Etroits sont les vaisseaux", I et II, par Paul Mankin

"Exil", III, par Sophie Bourel et Roger Little





  

« … Toujours il y eut cette clameur, toujours il y eut cette splendeur,

« Et comme un haut fait d’armes en marche par le monde, comme un dénombrement de peuples en exode, comme une fondation d’empires par tumulte prétorien, ha ! comme un gonflement de lèvres sur la naissance des grands Livres,

« Cette grande chose sourde par le monde et qui s’accroît soudain comme une ébriété.


« … Toujours il y eut cette clameur, toujours il y eut cette grandeur,

« Cette chose errante par le monde, cette haute transe par le monde, et sur toutes grèves de ce monde, du même souffle proférée, la même vague proférant

« Une seule et longue phrase sans césure à jamais inintelligible…


« … Toujours il y eut cette clameur, toujours il y eut cette fureur

« Et ce très haut ressac au comble de l’accès, toujours, au faîte du désir, la même mouette sur son aile, la même mouette sur son aire, à tire-d’aile ralliant les stances de l’exil, et sur toutes grèves de ce monde, du même souffle proférée, la même plainte sans mesure

« A la poursuite, sur les sables, de mon âme numide… »


Je vous connais, ô monstre ! Nous voici de nouveau face à face. Nous reprenons ce long débat où nous l’avions laissé.

Et vous pouvez pousser vos arguments comme des mufles bas sur l’eau : je ne vous laisserai point de pause ni répit.

Sur trop de grèves visitées furent mes pas lavés avant le jour, sur trop de couches désertées fut mon âme livrée au cancer du silence.

Que voulez-vous encore de moi, ô souffle originel ? Et vous, que pensez-vous encore tirer de ma lèvre vivante,

Ô force errante sur mon seuil, ô Mendiante dans nos voies et sur les traces du Prodigue ?

Le vent nous conte sa vieillesse, le vent nous conte sa jeunesse… Honore, ô Prince, ton exil !

Et soudain tout m’est force et présence, où fume encore le thème du néant.


« … Plus haute, chaque nuit, cette clameur muette sur mon seuil, plus haute, chaque nuit, cette levée de siècles sous l’écaille,

« Et, sur toutes grèves de ce monde, un ïambe plus farouche à nourrir de mon être !…

« Tant de hauteur n’épuisera la rive accore de ton seuil, ô Saisisseur de glaives à l’aurore,

« Ô Manieur d’aigles par leurs angles, et Nourrisseur des filles les plus aigres sous la plume de fer !

« Toute chose à naître s’horripile à l’orient du monde, toute chair naissante exulte aux premiers feux du jour !

« Et voici qu’il s’élève une rumeur plus vaste par le monde, comme une insurrection de l’âme…

« Tu ne te tairas point clameur ! que je n’aie dépouillé sur les sables toute allégeance humaine. ( Qui sait encore le lieu de ma naissance ? ) »

  

Amants, ô tard venus parmi les marbres et les bronzes, dans l’allongement des premiers feux du soir,

Amants qui vous taisiez au sein des foules étrangères,

Vous témoignerez aussi ce soir en l’honneur de la Mer :

I



… Etroits sont les vaisseaux, étroite notre couche.

Immense l’étendue des eaux, plus vaste notre empire

Aux chambres closes du désir.


Entre l’Eté, qui vient de mer. A la mer seule, nous dirons

Quels étrangers nous fûmes aux fêtes de la Ville, et quel astre montant des fêtes sous-marines

S’en vint un soir, sur notre couche, flairer la couche du divin.


En vain la terre proche nous trace sa frontière. Une même vague par le monde, une même vague depuis Troie

Roule sa hanche jusqu’à nous. Au très grand large loin de nous fut imprimé jadis ce souffle…

Et la rumeur un soir fut grande dans les chambres : la mort elle-même, à son de conques, ne s’y ferait point entendre !


Aimez, ô couples, les vaisseaux ; et la mer haute dans les chambres !

La terre un soir pleure ses dieux, et l’homme chasse aux bêtes rousses ; les villes s’usent, les femmes songent… Qu’il y ait toujours à notre porte

Cette aube immense appelée mer – élite d’ailes et levée d’armes, amour et mer de même lit, amour et mer au même lit –


et ce dialogue encore dans les chambres :


II



1


« … Amour, amour, qui tiens si haut le cri de ma naissance, qu’il est de mer en marche vers l’Amante ! Vigne foulée sur toutes grèves, bienfait d’écume en toute chair, et chant de bulles sur les sables… Hommage, hommage à la Vivacité divine !


« Toi, l’homme avide, me dévêts : maître plus calme qu’à son bord le maître du navire. Et tant de toile se défait, il n’est plus femme qu’agréée. S’ouvre l’Eté, qui vit de mer. Et mon cœur t’ouvre femme plus fraîche que l’eau verte : semence et sève de douceur, l’acide avec le lait mêlé, le sel avec le sang très vif, et l’or et l’iode, et la saveur aussi du cuivre et son principe d’amertume – toute la mer en moi portée comme dans l’urne maternelle…


« Et sur la grève de mon corps l’homme né de mer s’est allongé. Qu’il rafraîchisse son visage à même la source sous les sables ; et se réjouisse sur mon aire, comme le dieu tatoué de fougère mâle… Mon amour, as-tu soif ? Je suis femme à tes lèvres plus neuve que la soif. Et mon visage entre tes mains comme aux mains fraîches du naufrage, ah ! qu’il te soit dans la nuit chaude fraîcheur d’amande et saveur d’aube, et connaissance première du fruit sur la rive étrangère.


« J’ai rêvé, l’autre soir, d’îles plus vertes que le songe… Et les navigateurs descendent au rivage en quête d’une eau bleue ; ils voient – c’est le reflux – le lit refait des sables ruisselants : la mer arborescente y laisse, s’enlisant, ces pures empreintes capillaires, comme de grandes palmes suppliciées, de grandes filles extasiées qu’elle couche en larmes dans leurs pagnes et dans leurs tresses dénouées.


« Et ce sont là figuration du songe. Mais toi l’homme au front droit, couché dans la réalité du songe, tu bois à même la bouche ronde, et sais son revêtement punique : chair de grenade, et cœur d’oponce, figue d’Afrique et fruit d’Asie… Fruits de la femme, ô mon amour, sont plus que fruits de mer : de moi non peinte ni parée, reçois les arrhes de l’Eté de mer… »


*


2


« … Au cœur de l’homme, solitude. Etrange l’homme, sans rivage, près de la femme, riveraine. Et mer moi-même à ton orient, comme à ton sable d’or mêlé, que j’aille encore et tarde, sur ta rive, dans le déroulement très lent de tes anneaux d’argile – femme qui se fait et se défait avec la vague qui l’engendre…


« Et toi plus chaste d’être plus nue, de tes seules mains vêtue, tu n’es point Vierge des grands fonds, Victoire de bronze ou de pierre blanche que l’on ramène, avec l’amphore, dans les grands mailles chargées d’algues des tâcherons de mer ; mais chair de femme à mon visage, chaleur de femme sous mon flair, et femme qu’éclaire son arôme comme la flamme de feu rose entre les doigts mi-joints.


« Et comme le sel est dans le blé, la mer en toi dans son principe, la chose en toi qui fut de mer, t’a fait ce goût de femme heureuse et qu’on approche… Et ton visage est renversé, ta bouche est fruit à consommer, à fond de barque, dans la nuit. Libre mon souffle sur ta gorge, et la montée, de toutes parts, des nappes du désir, comme aux marées de lune proche, lorsque la terre femelle s’ouvre à la mer salace et souple, ornée de bulles, jusqu’en ses mares, ses maremmes, et la mer haute dans l’herbage fait son bruit de noria, la nuit est pleine d’éclosions…


« Ô mon amour au goût de mer, que d’autres paissent loin de mer l’églogue au fond des vallons clos – menthes, mélisse et mélilot, tiédeurs d’alysse et d’origan – et l’un y parle d’abeillage et l’autre y traite d’agnelage, et la brebis feutrée baise la terre au bas des murs de pollen noir. Dans le temps où les pêches se nouent, et les liens sont triés pour la vigne, moi j’ai tranché le nœud de chanvre qui tient la coque sur son ber, à son berceau de bois. Et mon amour est sur les mers ! et ma brûlure est sur les mers !…


« Etroits sont les vaisseaux, étroite l’alliance ; et plus étroite ta mesure, ô corps fidèle de l’Amante… Et qu’est ce corps lui-même, qu’image et forme du navire ? nacelle et nave, et nef votive, jusqu’en son ouverture médiane ; instruit en forme de carène, et sur ses courbes façonné, ployant le double arceau d’ivoire au vœu des courbes nées de mer… Les assembleurs de coques, en tout temps, ont eut cette façon de lier la quille au jeu des couples et varangues.


« Vaisseau, mon beau vaisseau, qui cède sur ses couples et porte la charge d’une nuit d’homme, tu m’es vaisseau qui porte roses. Tu romps sur l’eau chaîne d’offrandes. Et nous voici, contre la mort, sur les chemins d’acanthes noires de la mer écarlate… Immense l’aube appelée mer, immense l’étendue des eaux, et sur la terre faite songe à nos confins violets, toute la houle au loin qui lève et se couronne d’hyacinthes comme un peuple d’amants !


« Il n’est d’usurpation plus haute qu’au vaisseau de l’amour. »

  

Paul Mankin est l'un des fondateurs du département de Littérature comparée à l'Université du Massachussets. Universitaire éminent et francophile distingué, il eut à coeur de diffuser la poésie française et francophone moderne et contemporaine auprès du public américain dans les années soixante, ce qui le mena, en marge de ses activités universitaires proprement dites, à réaliser un certain nombre d'enregistrements édités en disque dès 1962, notamment son 20th Century french poetry, qui connut un certain succès qui d'ailleurs ne s'est jamais démenti. Sur ce disque, aujourd'hui réédité, une lecture d'Etroits sont les vaisseaux, avec une justesse de ton et un discret et exquis accent américain.

Roger Little à

Hyères, en 1972

Roger Little tout d'abord, précurseur de marque de la critique persienne, attache à l'approche de la lecture des textes de Saint-John Perse un souci de précision exemplaire, ne perdant pas de vue que cet exercice avait été prohibé par le poète lui-même - ce qui, en fin de compte, en renforce encore l'exigence. Lui-même traducteur de l'oeuvre de Perse en anglais, il est on ne peut mieux placé pour connaître les difficultés inhérentes à la syntaxe et au lexique persiens. Ceux qui ont pu entendre Roger Little dire les poèmes de Saint-John Perse savent le soin rare qu'il met dans la transmission orale de cette poésie. En 1972 déjà, l'universitaire irlandais avait gratifié le public varois d'une séance de présentation de l'oeuvre poétique de Saint-John Perse, agrémentée de lectures particulièrement appréciées. Un article de l'époque, tiré de la presse locale, fait état de cet enthousiasme du public.

Plus récemment, Roger Little nous a gratifié d'une splendide lecture du chant III d'Exil, dans sa traduction anglaise, précédée par la version française lue par Sophie Bourel, lors de notre soirée de la Maison de l'Amérique latine d'octobre 2009 marquant la publication du N° 5 de La nouvelle anabase. Là encore, le public fut tout particulièrement attentif à la précision de cette lecture, que vous pouvez écouter ici (enregistrement réalisé lors de la soirée : texte français lu par Sophie Bourel, puis lecture de la traduction par Roger Little).


  

Un cas particulier des lectures des poèmes de Perse : celles qui émanent de certains universitaires eux-mêmes engagés dans le commentaire et la diffusion de cette oeuvre exigeante entre toutes. Une appréhension du texte qui diffère certainement de celle des comédiens, en raison de cette immersion critique dans laquelle la connaissance du rythme singulier de cette poésie en prose et soumise pourtant à une métrique si précise, une poésie où les ressources du langage sont mobilisées selon une rigueur et une puissance qui réclament du lecteur une maîtrise singulière du souffle. Deux universitaires de renom, deux "scholars" de langue anglaise donnent un exemple de cette ferveur qui est au coeur des persiens dans leurs lectures : Roger Little et Paul Mankin.