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© 2014 Saint-John Perse, le poète aux masques (Sjperse.org / La nouvelle anabase). Site conçu, écrit et réalisé par Loïc Céry.
Structure du colloque en ligne
1. Mythes, énigmes et éclat
« Le poème de Saint-John Perse éblouit toujours le lecteur. Comme un phare qui fascine et qui aveugle, il provoque d’emblée l’admiration » : les mots d’Yves-Alain Favre (Saint-John Perse. Le langage et le sacré, 1977) reviennent immanquablement en mémoire quand on prend la mesure de ce halo de mystère et ce charme tout à la fois qui ont agi sans discontinuer dans la réception de l’œuvre, depuis que Jean Paulhan a donné à la figure de l’énigme valeur de clé de notre rapport avec un dit poétique qui, décidément, jamais ne se laisse réduire aux explicitations.
Néanmoins, l’énigme persienne réside-t-elle uniquement dans la force du texte stricto sensu ? Les travaux établis depuis quelques années à partir du volume des Œuvres complètes ont bien mis en relief le phénomène d’une œuvre intégrale, qui s’appuie sur une valorisation de la figure mythifiée du Poète. C’est dès lors l’ensemble de cette stratégie auctoriale de la représentation d’un être idéal, derrière le réel biographique, qui continue de nous interroger : n’est-ce pas induire très précisément les conditions de réception d’une œuvre, que de la maintenir à ce point dans les repères de la reformulation du réel ?
Intéressant aussi bien des faits de réception que de construction du discours critique, il nous revient de décrire dans quelle mesure ce protocole a profondément déterminé le rapport du lectorat, mais aussi celui des écrivains, à Saint-John Perse. C’est une attention aux effets de perception ainsi produits qui seule, peut nous permettre de réexaminer la question des énigmes de Perse… en reprenant les pièces du dossier, tant balisés par les acquis récents. Les repères principaux, qui pourront inspirer utilement les réflexions sont, entre autres :
· le rapport vérité biographique / représentation mythique du Poète
· le façonnement d’une œuvre intégrale, la formulation d’une littérarité unitaire
· la relation au lecteur qui en découle : la Pléiade, mode d’emploi
· le rapport à la critique qu’induit l’établissement personnel des textes
· les soubassements de cette mise en scène d’une œuvre : une conception de l’art, du statut de l’auteur, se lit en creux à travers le choix de Saint-John Perse, pensé dans ses moindres détails, dans une représentation particulière du destin à venir de l’œuvre.
2. Saint-John Perse et nous : de nouveaux repères
Il est illusoire de s’imaginer que dans les années à venir justement, le rapport à Perse demeure identique à celui qu’il a été jusqu’à présent, du fait de cette étape philologique franchie récemment. Auparavant restreints au monde des spécialistes du poète, les fameux acquis sont désormais portés, en une synthèse, à la connaissance de tout un chacun. Se pourrait-il que cette nouvelle modalité du rapport au texte diminue en quoi que ce soit l’adhésion poétique ? Une désacralisation serait-elle intervenue qui escamote l’énigme ?
· Quel est le rapport auteur / lecteur « souhaitable », s’il en existe réellement un, envers une œuvre relue par des générations portées par l’incandescence poétique et notamment, la nouvelle proximité est-elle compatible avec l’exigence de l’élévation, qui est peut-être une déclinaison de la distance ?
· Mais surtout (phase proprement épistémologique du débat), il s’agit de redéfinir le champ herméneutique attaché à l’œuvre persienne après ce franchissement d’anciens carcans – comment se pourrait-il en cela, que l’éclairage critique du texte ne tienne pas compte de ce bouleversement de l’acte interprétatif lui-même ? Les fameuses « énigmes » de Perse peuvent trouver dès lors un nouvel espace d’investigation, du fait de cette mutation-là : aller plus loin et au plus neuf de la présence de Perse dans la conscience littéraire et pas seulement dans une sphère patrimoniale, c’est certainement la voie des futurs exégètes de l’œuvre, mais comment s’en acquitter réellement ? Quel est en somme le programme critique qui découle d’une relation non inféodée à la seule auctoritas de Saint-John Perse ?
En somme, c’est un regard autant rétrospectif que prospectif qui sera engagé dans cette réflexion : prendre la mesure des déterminations qui ont entouré pendant longtemps la lecture de Perse ne va pas sans se tourner vers la postérité de cette lecture. Les mythes, mais aussi les présences de Saint-John Perse, dont le texte nous précède, nous attend et nous oblige.
En guise de point de départ de la réflexion, on pourra se référer à un texte : « Saint-John Perse, de la source au delta », compte-rendu critique de Saint-John Perse sans masque paru dans Acta Fabula, revue des parutions littéraires du site Internet Fabula.
D’évidence, les enjeux théoriques, esthétiques, intellectuels de ce débat sont nombreux, et il n’est pas excessif de penser que dans le cas de Saint-John Perse, on est certainement en présence d’un modèle canonique de cette phénoménologie toujours fragile du rapport du lecteur au texte, qu’on lui attribue le motif du pacte ou la figure de l’affranchissement. Ce questionnement est donc inséparable, dans ses assises mêmes, du rôle joué dans ce rapport par la critique persienne qui, certainement au tournant de la trentaine d’années qui nous sépare de la parution de l’ « œuvre – Pléiade », connaît son âge de raison. Colloque de persiens ? A l’énoncé même sommaire de ces enjeux, il apparaît clairement pour autant, que le cas Saint-John Perse dépasse amplement une sphère d’initiés, pour intéresser l’ensemble de ceux, chercheurs, écrivains et fervents de la Littérature pour qui les termes d’ « œuvre », de « lecteur », d’ « auteur » sont à décliner dans une exigence toujours à conquérir, au-delà des modes et des époques.
Ce débat mérite à coup sûr que soit exclu de son déroulement tout esprit polémique ; seul devront prévaloir ici les repères génériques d’un libre mais exigeant débat d’idées qui en motive l’organisation.
Loïc Céry
Peu après la création du site, Sjperse.org proposait en 2003 la tenue d’un colloque en ligne, dont les actes ont par la suite fait l’objet d’une édition dans le premier numéro de La nouvelle anabase, en février 2006.
L’objet du colloque était bien de produire une réflexion de fond autour des enjeux critiques et esthétiques soulevés par la publication de Saint-John Perse sans masque de Joëlle Gardes Tamine, Colette Camelin, Renée Ventresque et Catherine Mayaux.
Le geste du commentaire critique qui a motivé cette étude est en effet au centre d’un projet de restitution de la présence de Perse, au-delà des mythes qui recouvraient jusqu’alors non seulement l’image du poète édifiée de son vivant par Perse, mais aussi la réception de l’œuvre elle-même, tant notre relation au texte est bel et bien conditionnée par cet écrin du volume des Œuvres complètes qui a vu le jour sous l’autorité tutélaire du poète en 1972.
Or, s’affranchir d’une telle emprise dans l’intention d’une nouvelle lucidité face au texte, c’est aussi poser une nouvelle fois, à partir du cas qui nous intéresse – celui d’un poète qui s’est voulu son propre éditeur – le problème du statut de l’auteur et de la mission critique face à son façonnement. Ce faisant, c’est redéfinir l’acte de lecture sous le paradigme de la lucidité, tant du point de vue biographique que de celui d’une connaissance éclairée de l’intimité littérale d’une poésie réputée pour ses énigmes. Connaître la genèse des poèmes de Saint-John Perse, est-ce abolir durablement l’énigme poétique, ou n’est-ce pas se donner les moyens de mieux l’appréhender, en connaissance de cause en quelque sorte ?