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Le manuscrit persien et la fabrique du poème

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C'est un peu grâce à cette démarche patiente et ô combien minutieuse que la critique génétique peut efficacement aider à la compréhension de l'émergence du poème chez Saint-John Perse : refaire le trajet fascinant des mots en train de naître sur la page, dans le chaos premier puis la progressive organisation formelle qui s'en suit. L'imposant travail préparatoire qui précède toute appréhension de la page blanche a fait l'objet, ces dernières années, d'une attention toute particulière, mais demeure encore ouverte à bien des investigatiions à venir. Opération d'interprétation autant que questionnement de la démarche créatrice, l'analyse des manuscrits comprise comme instrument d'une vaste quête, permet en un sens, de pénétrer les yeux ouverts, dans les méandres de ce patient artisanat du texte que pratiqua inlassablement le poète, poursuivant  comme Dante, l'achèvement d'une "oeuvre « oeuvrée » dans sa totalité, impliquant d'autant plus d'assistance du souffle, et de force organique, d'élévation de ton et de vision, au-delà de l'écrit, pour la conduite finale du thème à sa libre échéance."

VIDÉO : Lecture génétique du

manuscrit de Oiseaux par Esa Hartmann

  • Étude de cas : l'analyse du manuscrit de Oiseaux par Esa Hartmann


A l'image de la lecture des manuscrits d'Amitié du Prince ou d'Anabase qu'a pu effecuer Albert Henry dans ses éditions critiques, Esa Hartmann a su proposer dans son ouvrage, des décryptages attentifs de certains corpus manuscrits, comme c'est particulièrement le cas pour les différents états du manuscrit du poème Oiseaux qui est, rappelons-le, le seul pour lequel nous disposons de l'ensemble des états de brouillons. La vidéo qui suit propose une visualisation d'une partie de cette analyse établie par Esa Hartmann, aux pages 88 à 94 de son ouvrage précité.

C'est par l'attention aux données des pages manuscrites des états de brouillons que l'on peut tenter de retracer les différentes étapes de l'élaboration du poème chez Perse. [Vidéo (texte explicatif et montage technique) : Sjperse.org, 2010.]

  

« L’obscurité et l’énigme constituent un idéal poétique qu’il s’agit d’atteindre à travers tout un travail d’élimination et d’épuration, allant parfois jusqu’à la mutilation et l’ablation. La création de nombreuses ellipses dans le texte achevé se présente comme le fruit de cette volonté de concision et d’émaciation. De mystification aussi : de même que les allusions référentielles et informations intertextuelles sont occultées et rendues méconnaissables dans le texte achevé11 « Ces emprunts sont toujours radicalement détachés du contexte immédiat et réinsérés dans un autre contexte par un travail d’« assemblage » « mystérieux et mystifiant », pour reprendre les termes de Lilita Abreu, c’est-à-dire par des procédés de maquillage, de collage et de fusion d’images […] Si certains matériaux du poème sont référentiels, le poème en tant qu’œuvre totale reste sans référence. » (Catherine Mayaux, « Emprunts, collage et mise en page du poème dans le Chant X d’Anabase », in : Pour Saint-John Perse, op. cit., p.170)., les passages explicitant un terme ambigu, une métaphore difficile, une ellipse obscure sont éliminés peu à peu du manuscrit. L’ellipse22 « De la pensée discursive ou de l’ellipse poétique, qui va plus loin et de plus loin ? » (Discours de Stockholm, O.C., p.444). L’ellipse poétique est un élément très important de la poétique persienne. Cette « parole brève comme éclat d’os » (Vents, I, O.C., p.190), renvoie l’image directe et immédiate du langage à sa naissance, à son surgissement, dans l’instant même de sa création, « dans l’instant même de son rapt » (Oiseaux, III, O.C., p.411). L’ellipse poétique implique une conception bergsonnienne de la durée vitale qui ne peut être appréhendée par l’intuition qu’en une globalité indivisible, unique et immensurable, comme les « poèmes nés un soir à la fourche de l’éclair » (Exil, IV, O.C., p.129). Dans sa lettre à Roger Caillois, Saint-John Perse mentionne l’ellipse comme une manifestation de la fonction poétique du langage : « […] ce que vous considérez certainement avec moi comme essentiel de la fonction poétique : c’est-à-dire sa fulguration propre, dans la restitution synthétique comme dans la décharge elliptique : son fatalisme rigoureux, qui n’admet rien de fortuit en cours de conclusion, même dans les plus larges amplifications apparentes. » (Saint-John Perse, Lettre à Roger Caillois, 8 août 1943, O.C., p.959). Ethos et esthétique, l’ellipse caractérise une façon d’écrire autant qu’une manière d’être. « Et toi plus maigre qu’il ne sied au tranchant de l’esprit, homme aux narines minces parmi nous, ô Très-Maigre ! ô Subtil ! Prince vêtu de tes sentences ainsi qu’un arbre sous bandelettes » (Amitié du Prince, I, O.C., p.65). Le prince, dans sa maigreur, incarne l’ascèse spirituelle, mais symbolise aussi la maigreur ascétique du langage, le dépouillement de l’idée – l’ellipse poétique. n’est donc pas, comme on pourrait le croire selon le mythe de la création poétique, l’expression mystérieuse, le balbutiement sibyllin d’un langage à sa naissance, une irruption originelle et spontanée de la voix prophétique33 « L’obscurité qu’on lui reproche ne tient pas à sa nature propre, qui est d’éclairer, mais à la nuit même qu’elle explore, et qu’elle se doit d’explorer : celle de l’âme humaine et du mystère où baigne l’âme humain. » (Discours de Stockholm, O.C., pp.445-446). « Le vague, l’obscurité des choses décrites n’est pas procédé d’écriture mais fidélité à l’authentique représentation du monde qu’en prend la conscience qui se souvient ou qui rêve. » (Jean Cohen, Théorie de la poéticité, op. cit., p.272)., mais le résultat d’un travail stylistique que nous pouvons retracer à travers la lecture des différents états manuscrits."


1. « Ces emprunts sont toujours radicalement détachés du contexte immédiat et réinsérés dans un autre contexte par un travail d’« assemblage » « mystérieux et mystifiant », pour reprendre les termes de Lilita Abreu, c’est-à-dire par des procédés de maquillage, de collage et de fusion d’images […] Si certains matériaux du poème sont référentiels, le poème en tant qu’œuvre totale reste sans référence. » (Catherine Mayaux, « Emprunts, collage et mise en page du poème dans le Chant X d’Anabase », in : Pour Saint-John Perse, op. cit., p.170).


2. « De la pensée discursive ou de l’ellipse poétique, qui va plus loin et de plus loin ? » (Discours de Stockholm, O.C., p.444). L’ellipse poétique est un élément très important de la poétique persienne. Cette « parole brève comme éclat d’os » (Vents, I, O.C., p.190), renvoie l’image directe et immédiate du langage à sa naissance, à son surgissement, dans l’instant même de sa création, « dans l’instant même de son rapt » (Oiseaux, III, O.C., p.411). L’ellipse poétique implique une conception bergsonnienne de la durée vitale qui ne peut être appréhendée par l’intuition qu’en une globalité indivisible, unique et immensurable, comme les « poèmes nés un soir à la fourche de l’éclair » (Exil, IV, O.C., p.129). Dans sa lettre à Roger Caillois, Saint-John Perse mentionne l’ellipse comme une manifestation de la fonction poétique du langage : « […] ce que vous considérez certainement avec moi comme essentiel de la fonction poétique : c’est-à-dire sa fulguration propre, dans la restitution synthétique comme dans la décharge elliptique : son fatalisme rigoureux, qui n’admet rien de fortuit en cours de conclusion, même dans les plus larges amplifications apparentes. » (Saint-John Perse, Lettre à Roger Caillois, 8 août 1943, O.C., p.959). Ethos et esthétique, l’ellipse caractérise une façon d’écrire autant qu’une manière d’être. « Et toi plus maigre qu’il ne sied au tranchant de l’esprit, homme aux narines minces parmi nous, ô Très-Maigre ! ô Subtil ! Prince vêtu de tes sentences ainsi qu’un arbre sous bandelettes » (Amitié du Prince, I, O.C., p.65). Le prince, dans sa maigreur, incarne l’ascèse spirituelle, mais symbolise aussi la maigreur ascétique du langage, le dépouillement de l’idée – l’ellipse poétique.


3. « L’obscurité qu’on lui reproche ne tient pas à sa nature propre, qui est d’éclairer, mais à la nuit même qu’elle explore, et qu’elle se doit d’explorer : celle de l’âme humaine et du mystère où baigne l’âme humain. » (Discours de Stockholm, O.C., pp.445-446).

« Le vague, l’obscurité des choses décrites n’est pas procédé d’écriture mais fidélité à l’authentique représentation du monde qu’en prend la conscience qui se souvient ou qui rêve. » (Jean Cohen, Théorie de la poéticité, op. cit., p.272).

[...]

De l’avant-texte au texte, du manuscrit au poème achevé, l’évolution scripturale et sémantique équivaut non seulement au cheminement d’un acte créateur, à une genèse de la poesis et du verbe poétique, mais aussi à un processus de réception et de censure.11 « Je reconnais, intuitivement, une sorte d’illumination au départ, ensuite un mécanisme rationnel… Être poète, c’est avoir des satisfactions constantes d’élaboration. » (Citation de Saint-John Perse par Roger Little, « Pour une lecture de Saint-John Perse », Alif, n°7, Tunis, 1976, p.99). Sur les manuscrits persiens, nous découvrons parfois un mouvement d’expansion sensuelle et de dérive rêveuse à travers les palettes d’une grande richesse, jusqu’au moment inévitable de la relecture, où le contrôle et l’autocensure retranchent le flux libre de l’imagination créatrice. À un mouvement premier qui s’exprime dans un jet scriptural libre et débridé, parfois violent, emporté dans sa passion, succède une phase d’élaboration secondaire, plus consciente et sévère, qui ordonne, censure et atténue le trait, au risque parfois de perdre de la richesse exubérante des palettes, de la « charge érotique », de la « sensualité » des variantes :


Ve 1, p.6 :

Femme < odorante > / loisible au flair du < dieu > / ciel et à elle seule découvrant la perfection de son être / arôme / mettant à nu / vif ses parties génitales / l’intimité vivante de son être / corps


texte définitif :

« Femme loisible au flair du Ciel et pour lui seul mettant à vif l’intimité vivante de son être… »   (Vents, I, 5, O.C., p.189).


1. Carol Rigolot, Saint-John Perse et ses amis américains. Courrier d’exil, Cahiers Saint-John Perse, n°15, Paris, Gallimard, 2001, p.23.


  

« Ce qui apparaît dès une première observation est la récurrence des mêmes mots dans les diverses palettes, comme si l’écrivain distribuait ces mots sur la page en fonction du rythme qu’il cherche à imprimer. Le processus de l’écriture semble donc inclure la dimension tabulaire de circulation sur toute la page. Comme le rythme se construit à partir de la répétition d’un certain nombre de structures, le travail de distribution sert ce dessein. » (Colette Camelin, « Étude génétique d’un poème de Saint-John Perse », op. cit.).

Les palettes rendent possible, notamment, le choix du rythme du poème à venir, comme le précise Colette Camelin (op. cit.) :


  

[Vidéo (texte explicatif et montage technique) : Sjperse.org, 2010]

VIDÉO : Création poétique

et temporalités de l'écrit

"Jeu entre répétition et variation, ces moules rythmiques accueillent également des matrices verbales, permettant la reprise d’un mot à une autre place syntaxique (antanaclase), la variante adoptant ainsi une signification nouvelle. Les matrices verbales donnent naissance à une exploitation maximale de la polysémie au sein de la successivité textuelle, activant ainsi le fonctionnement « poétique » du texte en devenir : « La fonction poétique projette le principe d’équivalence de l’axe de la sélection sur l’axe de la combinaison. »11 Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, op. cit., p.23. La linéarité horizontale du langage comme juxtaposition syntagmatique, constituant la mélodie du texte, est accompagnée de l’harmonie paradigmatique d’un accord vertical, formé de rimes et d’échos sonores, rapprochant les éléments textuels dépourvus de liens de contiguïté.


La page de manuscrit ressemble ainsi à une partition musicale. Les palettes, paradigmes verticaux où règne le principe de la sélection, sont progressivement projetées sur l’axe syntagmatique de la combinaison, afin d’être actualisées dans le texte. Saint-John Perse semble tout à fait conscient de la simultanéité et de la verticalité du matériau verbal dans l’espace virtuel des palettes, ainsi que d’un langage poétique s’approchant de l’harmonie en musique : « Et cette musique, qui n’est point proprement « musique » de musicien, mais qui l’est pourtant assez pour rompre avec la neutralité du langage linéaire, ouvre à la phrase qu’elle porte une dimension nouvelle de l’espace poétique, assurant plus intimement au songe la fusion du thème et du poète. »22 Saint-John Perse, Hommage à Léon-Paul Fargue, O.C., p.524. "


1. Mireille Sacotte, Saint-John Perse, op. cit., p.223.

2. Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, op. cit., p.23.

  

Esa Hartmann donne une belle image de cette organisation, en comparant la page manuscrite de Saint-John Perse, à une partition musicale, où les structures mélodiques d'une syntaxe et d'un rythme donnés, président à l'organisation progressive de lignes harmoniques diverses, que seraient les éléments langagiers listés dans les palettes :

Suivre le cheminement de la création, de la main écrivant, au poème publié : telle est l'ambition de fond de la prise en compte des manuscrits. Un versant porteur de la critique persienne, d'Albert Henry à Esa Hartmann. [Vidéo (texte explicatif et montage technique) : Sjperse.org, 2010.]

VIDÉO : Lectures des manuscrits

et décryptage de la création

"Saint-John Perse confia à Gali : « Je reconnais, intuitivement, une sorte d'illumination au départ ; ensuite un mécanisme rationnel... Etre poète, c'est avoir des satisfactions constantes d'élaboration.» C'est la nuit qu'il se sent particulièrement disponible pour « l'illumination » ; une fois qu'elle s'est produite, il prend des notes et, progressivement, élabore un brouillon. Dans un écriture verticale et minuscule tout à fait différente des italiques majestueuses de son écriture « publique » (dont le volume de la Pléiade donne des exemples en fac-similé, pp. 1207-11), il reprend et travaille soigneusement chaque page du brouillon si bien qu'à la fin elle est constellée de blocs de mots, dérivant les uns des autres, reliés par de brèves lignes de mots qui indiquent leurs connexions. Ces blocs sont des listes de choix possibles, pour la plupart des noms et des adjectifs (on note avec surprise que dans cette poésie si dynamique les verbes n'ont qu'un rôle mineur), fondées sur un compte de syllabes équivalentes ; ils sont généralement métagrammatiques et présentent de multiples substitutions de sons à partir du mot initial."

Comme pour ces importantes palettes, un regard attentif porté sur l'apparence générale du manuscrit persien permet déjà de mesurer le mode d'appréhension de la création poétique de Perse, dans le sens d'une phase préparatoire où les mots d'abord prolifèrent dans un "chaos organisé" par la verticalité même des listes réparties sur la page comme autant de "blocs" qui vont régir le déploiement du poème à venir. C'est ainsi que Roger Little conçoit le travail du brouillon de Perse ("Pour une lecture de Saint-John Perse", in Etudes sur Saint-John Perse, Klincksieck, 1984, p. 26) :


  

  • Morphologie du manuscrit persien


Albert Henry a été le premier à décrire avec précision une partie du corpus des manucrits persiens, moyennant les éditions critiques d'Amitié du Prince (1979) et d'Anabase (1983) qu'il a publiées chez Gallimard (coll. des "Publications de la Fondations Saint-John Perse" - voir bibliographie). Ces deux éditions critiques sont très précieuses pour qui veut connaître, gâce aux descriptions et transcriptions des états manuscrits effectués par le phiolologue belge, le fin mot de l'évolution du geste créateur de Saint-John Perse en cette période "chinoise" qui marque aussi l'éclosion de l'écriture rééduquée. Esa Hartmann à quant à elle pris en compte dans son étude approfondie, surtout (mais à vrai dire, entre autres : son étude est vaste) les manuscrits de Oiseaux, Vents, Neiges, Amers, ainsi que les nombreux avant-textes que constituent les annotations effectuées par Perse sur les traductions anglaises et allemandes de ses poèmes. On est frappé, tout d'abord, devant le corpus couvrant les différents états préparatoires d'un même poème, par le changement de l'écriture : il faut se rappeler, bien sûr, que l'écriture des manuscrits de pré-publication est bien cette écriture rééduquée apparue vers 1911, seule enveloppe valable eux yeux du poète, d'exprimer le poèle achevé. Le brouillon quant à lui, est encore redevable de cette écriture "naturelle" (sauf exception, comme par exemple certains états préparatoires de Oiseaux), d'une extrême petitesse, liée à l'émergence des fameuses "palettes" que l'on a déjà citées. La disposition sur le brouillon de listes de mots intervenant comme autant de choix, au sein d'une formule, d'une métaphore ou d'une image donnée, n'est pas propre à Saint-John Perse : plusieurs écrivains ont adopté cette méthode de listage vertical de termes ainsi disposés dans le dessein d'un choix qui s'affine à mesure qu'avance la construction du texte. C'est Octave Nadal, dans son édition critique de 1957 de La Jeune Parque de Valéry, qui baptisa ainsi cette technique de listage vertical : « Le poète s’est donné des palettes de mots. Comme pour le peintre la couleur, le musicien le son, les mots sont pour Valéry la matière première du poème. Toutes les virtualités qu’ils peuvent contenir, intelligibles : image et signe, sensibles : musique, rythme, timbre, etc. sont interrogées, attendues, retenues, provoquées au cours d’opérations à la fois hasardeuses et méthodiques qui les mettent en aventure poétique. » ; le terme connaît alors une réelle fortune dans toute critique attachée aux manuscrits d'écrivains, et la critique génétique le reprendra en tout cas à son compte, en utilisant d'ailleurs dans le même sens le terme de "paradigme". Dans son édition critique d'Amitié du Prince, Albert Henry adopte à son tour l'expression, ayant affaire à une utilisation pléthorique du procédé, sur les manuscrits de Saint-John Perse.

MONTAGE : Michael Lonsdale lit des extraits du Carnet de 1967


  

  • Une genèse entre ellipse et amplification


L'analyse des manuscrits recoupe dans bien des cas d'autres types d'appréhensions critiques du mode de création de Saint-John Perse. Les hypothèses relatives aux habitudes de travail du poète peuvent être ici comme "vérifiées" par la matérialité même des pages manuscrites, et dans ce domaine aussi, la prise en compte des pièces dont nous disposons dément les proclamations du poète, quant à une composition de ses poèmes suivant une "fulguration de l'éclair". Saint-John Perse, tel qu'il présente à plusieurs reprises dans la Péiade son rapport à la création, veut certainement apparaître comme ce poète démiurge répondant à une inspiration dont il serait le réceptacle - en ce sens, il est encore tributaire d'une certaine vision héritée du romantisme. La réalité de son élaboration des textes est toute autre, et on est plus proche en la matière, de l'artisan patient que du poète à l'écoute des muses.


Dans ce domaine, on est bien face à un double mouvement, qui d'ailleurs n'induit en rien une contradiction, sauf à ne pas considérer avec précision ce dont il retourne dans la temporalité de la construction des textes telle que la pratique Perse. C'est en effet, à la fois d'un mouvement d'amplification et d'ellipse qu'il s'agit. Preuve que l'attention aux manuscrits implique de prendre en compte plus largement l'ensemble des instruments de travail du poète, on a su démontrer tout au long de ces dernières années, combien était importante l'utilisation par le poète des dictionnaires de tous ordres, et notamment du dictionnaire analogique (voir les travaux de Catherine Mayaux entre autres). Incontestablement, c'est de ce côté (mais aussi, de toute la masse des autres instruments utilisés comme "viviers" langagiers) que provient ce luxe proliférant du lexique réparti dans les palettes ; c'est en ce sens que l'on peut parler d'une "amplification" lexicale dont garde trace le brouillon. Ce n'est qu'après qu'interviendra, dans le second temps du travail de construction, et parmi d'autres faits d'écriture, certains phénomènes de synthèse ou de retranchement - c'est en quoi on peut parler, d'une esthétique scripturale de l'ellipse. Mais comprendre le flux de la création persienne, c'est à coup sûr accepter cette complémentarité de l'amplification et de l'ellipse, comme régissant des phases créatrices différentes. Le document vidéo qui suit explique quelque peu ce double fonctionnement, cette double temporalité, en somme, qui régit le travail du brouillon chez Saint-John Perse.

A propos de la croisière de 1967 :

Œuvres complètes, p. XXXIX


"Cinquième croisière méditerranéenne sur le yacht Aspara : entre l'Italie, la Sardaigne et la Sicile, jusqu'aux îles Eoliennes ou Lipari, avec mouillage devant les îles Panarea, Stromboli, Lipari et Vulcano, non loin de "la Pietralunga" et autres aiguilles de basalte des "Bocche di Vulcano" ; lente navigation, de très près, autour des îles Salina, Filicudi et Alicudi, pour l'observation de leur structure volcanique et de leurs curiosités géologiques : pierres vitrifiées, coulées d'obsidienne rouge, fumeroles latentes et ceintures d'écueils basaltiques ; le Stromboli deux fois longé à la tombée du jour, pour mieux suivre, à la lueur de ses crevasses en flammes, les coulées de lave et les chutes de pierres incandescentes jusqu'à la mer. Retour au long de la côte italienne, avec escales à Naples, à Capri, à Ischia et à Ponza, le tour fait des petites îles de Palmarola et de Zanone, et corvée d'eau à Anzio, à l'entrée du canal de Fiumicino, avant de continuer sur Porto Ercole, Santa Margharita, San Remo et Antibes. (Pendant l'escale à Anzio, course en auto aux environs de Rome jusqu'à la Via Appia.)"

Cliquez ci-contre : montage effectué à partir d'une lecture par Michael Lonsdale, d'extraits de ce carnet de 1967. Le comédien lit, et dit aussi sa surprise devant ce document étonnant.


Montage Sjperse.org 2010 - Lecture

M. Lonsdale, France Culture 1995.

La lecture de ce carnet de 1967 constitue incontesablement à ce jour l'une des rares occasions qui nous soient fournies dans les archives, de surprendre le poète en plein travail d'imprégnation de ses observations extérieures, notées sur le carnet, comme il en sera des manuscrits, à savoir avec ces "palettes" de mots si fréquentes chez lui. Le poète, observant ce qui se présente à sa vue, note des bribes de visions poétiques. L'impression, un peu, d'être placé au milieu de l'imaginaire vivant du poète et de sa vie intérieure : un exemple unique, qui est aussi une excellente entrée en matière à propos de l'itinéraire de création, que l'on retrouve comme "domestiqué" sur les manuscrits.

> Aspects de l'écrit : la lente émergence du poème


On l'a mentionné, parmi les instruments d'avant-texte les plus importants chez Saint-John Perse, "précédant" en quelque sorte les manuscrits proprement dits, car appartenant à la genèse antérieure à la rédaction des poèmes eux-mêmes, figurent ces petits carnets sur lesquels le poète avait pour habitude de prendre note, à la fois de lectures très diverses, mais aussi, de consigner certaines fulgurances qui sont aussi les matériaux bruts de certaines formulations qu'on retrouvera dans les poèmes, moyennant bien entendu maintes phases de transformation. Ces carnets ont été détruits par Perse et ne figurent donc pas au sein des archiives de la Fondation, à l'exception toutefois de l'un d'entre eux, qui avait échappé à cette destruction voulue. Il s'agit du carnet ayant trait à la croisière effectuée par le poète en 1967 sur le yacht Aspara, dans les ïles Eoliennes, au sud de l'Italie. Document précieux s'il en est, puisqu'il permet d'envisager la phase ultérieure de tout manuscrit en tant que tel, d'un oeil averti : les moments préparatoires de cet ordre se situent bien en amont de l'élaboration d'un poème constuit, et constituent en quelque sorte le maëlstrom originel d'où émerge le projet qui peu à peu se cristallisera, et mènera à la création même. Ce carnet, hapax parmi les archives littéraires conservées, a été entièrement édité en fac simile de manuscrit, à l'occasion du centenaire de la naissance du poète, en guise de double numéro 8/9 des Cahiers Saint-John Perse (Gallimard / Fondation Saint-John Perse, 1987).

  

Le second temps de la création est donc marqué par plusieurs instances sripturales, parmi lesquelles l'ellipse préside au choix stylistique qui sera au coeur de l'émergence du poème en tant que tel, après la prolifération première. Esa Hartmann le précise, constatant par ailleurs des cas de "censure" dans la réécriture, comme pour certaines mentions de Vents :