Ce redémarrage du site correspond enfin à la programmation des nouvelles parutions liées à la revue, à la collection éditoriale et aux actes du colloque de 2012. Vous pouvez en consulter le récapitulatif sur le site.
Bienvenue aux "persiens",
anciens, nouveaux et futurs.
Diplomate subliminal sur nos écrans, "poète immortel" selon l'expression d'Alain Bosquet. C'est ce poète que célèbre le site et qu'étudie la revue, depuis leurs fondations respectives. On s'en souvient, Sjperse.org a toujours voulu favoriser une forme cruciale de transmission de la poésie de Saint-John Perse : la lecture incarnée, qui fait l'objet sur le site de toute une rubrique, "La constellation des voix". Pour la reprise des activités du site, une offrande inestimable à cette transmission : la lecture inédite du début et du sixième chant d'Anabase, par Félix Lahu dont nous avions eu la chance d'écouter les lectures lors du colloque de 2012, à l'Unesco et à la BnF. Et pour renouer avec l'une des voies explorées au sein de cette rubrique des lectures, vous aurez plaisir à mettre ces deux joyaux en regard de la lecture du même chant I par Sophie Bourel (toujours lors du colloque de 2012), et du même chant VI par Michel Auclair. Il en ira de la sensibilité comparée, comme il en va de la littérature comparée : un exercice d'imprégnation.
Et puis pour fêter notre nouvelle formule, on réécoutra avec le même plaisir Guillaume Virelaude chanter son adaptation musicale d'un extrait du "Chœur" d'Amers. Nous avions découvert cette adaptation marquante avec ravissement lors du cinquantenaire de 2010, et c'est avec le même ravissement que nous la réécoutons aujourd'hui.
De manière particulièrement furtive (c'est bien la loi du type d'apparitions dont il est question ici), on y verra Alexis Leger en train de discuter avec Laval, alors qu'il est question à ce moment précis du documentaire, de l'invasion de l'Éthiopie par l'Italie fasciste et ce, en illustration à cette présentation on ne peut plus accablante : "Cette agression brutale tonne dans l'apathie décadente des vieux empires européens. La Société des Nations, ancêtre de l'ONU, condamne l'Italie et demande à la France et à l'Angleterre d'appliquer à son encontre des sanctions économiques, alors qu'eux-mêmes possèdent d'immenses empires coloniaux. En France, les partis de gauche comme de droite se refusent à sanctionner le Duce". Faut-il comprendre que Leger discutant avec Laval, représente donc, dans la logique de cette présentation, cette "apathie décadente des vieux empires européens" et en tout cas ce refus des sanctions envers l'Italie de Mussolini ? Pour être habitué à ces visions-là, faites de joyeuses confusions et au gré desquelles Leger est le plus souvent la tête à claque de service, on peut le comprendre ainsi. Rien de nouveau, dans ce cas : l'ordinaire ritournelle qui se répète à l'infini et en vertu de laquelle les clichés se survivent à eux-mêmes. Mais l'occasion, simplement, d'une nouvelle apparition fugitive, subliminale mais signifiante, surtout pour tous ceux qui ont déjà leur idée arrêtée mais peu informée, sur l'action du diplomate.
Deuxième exemple, extrait cette fois-ci de l'excellent document de Gabriel Le Bomin, Collaborations, diffusé sur France 2 en février 2014 et consacré à l'histoire détaillée de la Collaboration. Toujours à propos de Laval, et histoire de retracer son action de Ministre des Affaires étrangères et de Président du Conseil sous cette Troisième République finissante, quelques images éparses parmi lesquelles on distingue, encore très furtivement, Alexis Leger, dans la même attitude inquiète que connaissent ceux qui ont déjà vu quelques bribes des images de la Conférence de Munich de 1938 (un exemple, sur la page Diplomatie de la Biographie du site). C'est encore de 1935 qu'il s'agit : ces images-là, prises non pas à Rome (comme le sous-entend le commentaire), mais lors de la Conférence de Stresa d'avril 1935, nous montrent Leger, conseiller diplomatique de Laval au sein de la délégation française lors de la conférence et Secrétaire général du Quai d'Orsay depuis 1933. Entre Laval et Mussolini, son inquiétude n'est pas feinte, et elle est en effet la même que lors des accords de Munich trois ans plus tard. Il n'est pas inutile de rappeler, surtout pour tordre le cou à l'apparente connivence que l'ont pourrait penser, que c'est précisément en cette année 1935 que se font jour les premières oppositions entre Leger et Laval, à propos de l'attitude à adopter face à l'Allemagne, alors même que les accords passés avec Mussolini sont censés l'isoler (Leger proposera sa démission en 1936 après la rupture du pacte de Locarno, suite à l'occupation militaire de la rive gauche du Rhin). Le rôle vrai d'Alexis Leger, en porte-à-faux tout au long de cette période, est plus intéressant que tous les raccourcis historiques ou les études tendancieuses qui ont la vie dure. Sa situation dans ce contexte plus que tourmenté aura réellement été cernée, finalement, par Sartre dans Le sursis : aucune meilleure lecture pour saisir le sens de cette action et de ce malaise qui culminera à Munich. [Lire la suite de ce billet dans la rubrique des Approches biographiques]
La mise en ligne de cette nouvelle formule n'appelle ni les éclipses ni l'activisme, mais la présence. Et c'est un peu comme, sur nos écrans, la persistance de ces apparitions subliminales du diplomate, au gré de documentaires historiques faisant usage des archives filmées issues des actualités de la période des années trente, époque du long règne d'Alexis Leger au poste de Secrétaire général du Quai d'Orsay. Parfois, le spectateur attentif décèle çà et là l'apparition furtive de la silhouette du diplomate, filmé aux côtés des personnalités politiques de cette époque qui prépare la tragédie de 1940. Il faut avoir l'œil, c'est le moment de déjouer la fugacité au prix de frénétiques arrêts sur images en s'asurrant que oui, c'est lui, c'est bien lui, c'est Leger, déjà anachronique, le disciple d'Aristide Briand qui ne peut plus réellement "endiguer" comme on disait alors, plus endiguer quoi que ce soit, ni les mécanismes, ni les comptes à rebours, ni les compromissions dont il est le témoin.
Deux exemples récents, parmi tant d'autres, où Leger apparaît, pour les deux cas, aux côtés de Pierre Laval, au moment où ce dernier est alors son ministre de tutelle. Dans le montage qui vous est proposé ci-contre, deux extraits de documentaires diffusés à la télévision récemment : tout d'abord, dans le cadre du centenaire d'Aimé Césaire en 2013, France Televisions avait diffusé entre autres un "docu-fiction", selon l'appellation en vigueur, à propos du parcours de Césaire, sous le titre Césaire, le prix de la liberté (Félix Olivier, 2013).
Comme dans l'inspiration de la clôture de Vents et après deux ans d'inactivité, Sjperse.org reprend le fil de ses maximes, également porteur de fruits nouveaux. Le site fait peau neuve, avec une nouvelle formule aujourd'hui mise en ligne, une interface revue de fond en comble et des salves de nouveautés qui seront régulièrement distillées, dans la même cohérence que celle qui avait présidé à l'émergence de Sjperse.org et de La nouvelle anabase. Nous reviendrons, chaque saison, "un oiseau vert et bavard sur le poing".
« Quand la violence eut renouvelé le lit des hommes sur la terre,
Un très vieil arbre, à sec de feuilles, reprit le fil de ses maximes…
Et un autre arbre de haut rang montait déjà des grandes Indes souterraines,
Avec sa feuille magnétique et son chargement de fruits nouveaux. »
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