[creation site web] [logiciel creation site] [creation site internet] [Sjperse.org]
[L'homme]
[Œuvre]
[Critique]
[Recherche]
[Bibliographie]
[Liens]
[Nouveautés Septembre 2015]
[Actualité éditoriale 2013]
[Recherche]
[La nouvelle anabase - Abonnement]
[La nouvelle anabase à paraître]
[Loïc Céry]
[Sjperse.org]
[]
[Communication]
[]
[Sjperse.org]
[L'homme]
[L'homme]
[Biographie]
[Biographie]
[Approches]
[Œuvre]
[Œuvre]
[Parcours]
[Parcours]
[Panorama]
[Voix]
[Critique]
[Critique]
[Hommage - TR1]
[Médias]
[Critique]
[Actualité éditoriale 2013]
[Recherche]
[Recherche]
[Recherche]
[Activités]
[Outils]
[Actualités]
[Actualités]
[Nouveautés Septembre 2015]
[Communication]
[]
[Actualité éditoriale 2013]
[Bibliographie]
[Bibliographie]
[]
[]
[]
[]
[]
[Liens]
[Liens]
[]
[Liens]
[Vents]
[Vents Structure]
[Vents Commentaire]
[Vents Bibliographie]
[Vents I]
[Vents II]
[Vents III]
[Vents IV]
[Parcours 2]
[Parcours 2]
[Vents]
[Chronique]
[Chant pour un éqinoxe]
[Parcours]
[Parcours]
[Parcours 1]
[Parcours 2]
[Parcours 3]
[Pléiade]
[]
[Sjperse.org]

COMMENTAIRE DÉTAILLÉ - Vents, I

  

Vents, de tous les souffles                                                              

________________________________________________________________________________________________________

Toute reproduction du contenu du site est libre de droit (sauf en cas d'utilisation commerciale, sans autorisation préalable), à condition d'en indiquer clairement la provenance : url de la page citée, indication de l'auteur du texte.

© 2014 Saint-John Perse, le poète aux masques (Sjperse.org / La nouvelle anabase). Site conçu, écrit et réalisé par Loïc Céry.

  

Saint-John Perse                     


L'homme                                   

L'œuvre                                     

La critique         

La recherche

Bibliographie

Liens

  

Chant 1 (p. 65-66)


L’aspiration vers l’idéal qu’enseigne le vent implique une tension indispensable, à laquelle exhorte ce chant. Cette thématique de la tension se déploie tout d’abord avec le rappel de cet enseignement du vent (le « chiffre » de son avènement), à savoir cette intensité suprême, cette plénitude possible de la vie, de l’être-au-monde. Ainsi, aux deuxième et troisième laisses, cette sommation porte sur un double rejet :


- Rejet de la frilosité, du moyen terme, de la tiédeur : « Si vivre est tel, qu’on n’en médise ! (le beau recours !…) ». Puis, le ton se meut en élégie, dans une adresse directe au vent, en une prière qu’il demeure, par sa présence même, disponible à l’homme : « Mais toi n’aille point, ô Vent, rompre ton alliance. » Et le risque de cette défaillance est exposé, avec lyrisme : sans cette tension générée par cette présence du vent, c’est bien un sort funeste qui attend l’homme, voué à une destinée dominée par la mort – et une certaine angoisse, ou du moins l’expression d’une fatalité, transparaît dans le ton.

- Rejet de la raillerie, de la feinte et de la dénégation, autres manières de se détourner de la tension salvatrice. Il s’agit en fait de condamner le nihilisme même, sous le masque de la dérision : « Et certains disent qu’il faut rire – allez-vous donc les révoquer en doute ? Ou qu’il faut feindre – les confondre ? ». Dernière forme du détour, d’abord rejeté (quatrième laisse) : le refuge dans l’amour et la douceur féminine. Ce motif féminin, conçu comme refuge, sera présent jusqu’à la fin du chant : même signification, des « amazones, tendres compagnes de nos courses » ; sixième laisse : « Et, femmes, vous chantiez votre grandeur de femmes aux fils que nous vous refusions… ». Mais le motif débouche finalement sur une acceptation de la femme, à condition qu’elle accompagne la « course » qui est en jeu, cette quête sans répit qui motive le poème.

L’exhortation se concentre ensuite sur l’élévation elle-même, à savoir la nécessité de se conformer à cet enseignement du vent et donc à saisir l’intensité qu’il draine, de réaliser cette plénitude existentielle à laquelle il somme : « Si vivre est tel, qu’on s’en saisisse ! Ah ! qu’on en pousse à sa limite, / D’une seule et même traite dans le vent, d’une seule et même vague sur sa course, / Le mouvement !… ». Exhortation au mouvement, qui est certainement l’une des notions les plus essentielles parmi les préceptes philosophiques liées à la poésie de Saint-John Perse : réaliser pleinement la plénitude existentielle, c’est se placer dans le mouvement même de l’être. Un lyrisme efficace habite la métaphore centrale (« D’une seule et même traite dans le vent, d’une seule et même vague sur sa course »), qui fait écho au motif et au rythme d’une image centrale d’ « Exil », III. Pour répondre à l’exhortation adressée ici, le recours est trouvé dans la métaphore du cheval et du cavalier, à la quatrième laisse.

A la suite du chant précédent, reprise du motif de la hâte de cette saisie : face au risque de la déperdition du souffle pur porté par les vents – « ”A moins qu’il ne se hâte, en perdra trace ton poème…”» (modification du motif dans cette reprise, comme on y est habitué chez Perse : la répétition est toujours l’objet d’un mouvement du poème). Ce danger de la déperdition culmine en quelque sorte dans le néant qui guette l’homme dans les territoires lointains de sa quête, qui font place au vide – la poursuite, pour atteindre son but, devra abolir la néantisation qui menace (ici, on parlerait à bon droit d’ « errance ») : « Ô frontière, ô mutisme ! Aversion du dieu ! / Et les capsules encore du néant dans notre bouche de vivants. » La route est reprise à la fin du chant, la quête se poursuit, dans le mouvement même, mais sans qu’on sache si le néant menaçant l’emportera.




Chant 2 (p. 67-70)


Le souffle de la quête est maximal, et l’homme est entièrement déterminé par cette tension fondamentale qui conduit sa marche, ce qui appelle au sein du chant, une organisation autour de différentes instances :


1) L’omniprésence de la tension est réexposée – première strophe, deuxième laisse ; troisième strophe, première laisse : appels au dépassement des limites et des frontières physiques – « … Plus loin ! plus loin ! sur les versants de crépon vert / Plus bas, plus bas, et face à l’Ouest ! dans tout cet épanchement du sol ». Le poème, en ce point, tourbillonne dans une marche sans fin, qui atteste de la violence de la quête. A la cinquième strophe (première et deuxième laisses) : « Plus loin, plus loin » ; de la troisième à la sixième laisse : « Et au-delà, et au-delà ». La tension vers le dépassement des limites se décline bien comme un motif quasiment obsessionnel, et bien une omniprésence en effet. La notion qui parcourt superbement tout le chant et concourt à cette sensation physique de poussée maximale, est celle d’une sorte de survol, de l’étreinte dans un grand geste lyrique, de tout l’espace existant. C’est du reste ce qui motive l’organisation même du chant, qui dessine un très vaste parcours de l’espace : la civilisation de l’Ouest américain et la civilisation andine (« où vont les Cordillères bâtées d’azur ») – deuxième strophe, un « lieu de pierre » indéterminé (première laisse), un « haut pays sans nom » (deuxième laisse), un « haut pays de pierre » (troisième laisse) ; deuxième laisse, une « civilisation de maïs noir », d’ « une civilisation de la laine et du suint » et d’ « une civilisation de la pierre et de l’aérolithe » (deuxième strophe, deuxième laisse) ; troisième strophe, première laisse, parcours de « versants de crépon vert », de « grandes chutes et paliers » (deuxième laisse), avec la précision qu’on est bien en « Mer Pacifique », « mer de Balboa » (non les mers de son enfance, qui furent la Mer caraïbe et l’Océan Atlantique). On a donc excédé le continent américain, on a atteint les archipels de l’Océan Pacifique ; à la deuxième laisse, autre précision : « Plus bas, plus bas ! sur les étagements gradués de ce versant du monde » et plus loin, les « dernières versions terrestres », indiquant bien une sorte de raréfaction de la terre, dans ces grandes étendues océaniques – ce qui explique qu’aux quatrième et cinquième strophes, on soit en présence de cet océan démesuré : la « Mer en Ouest », avec de rares « îles » (motif si important chez Perse). Un parcours dans l’exhaustivité spatiale de cette direction « en Ouest » qui place le poème « au-delà » de tout, dans un embrasement ultime de la quête.


2) L’irréductibilité de cette tension, en tant que destin de l’homme : reprise du motif naguère développé dans Anabase et dans Exil, celui de l’homme en quête constante. C’est le sens même de la première strophe, avec cette apparition dès l’entrée du chant, de l’image de l’homme en marche, en route, c’est-à-dire de la quête incessante à laquelle est vouée l’humanité entière (cf. toute la première strophe). Sens, encore, de toute la deuxième strophe où, dans le parcours qui témoigne de l’omniprésence de la tension vers la plénitude, se démarque la conscience même de la quête, définissant le destin de l’homme. La figure des questions venant clôturer chaque laisse (« – Qu’irais-tu chercher là ? » ; « – Qu’irais-tu sceller là ? » ; « – Qu’irais-tu clore là ? ») sous-entend bien qu’il n’y a d’autre réponse, que cette persistance de la quête elle-même : en ces lieux si reculés, il n’y a que la quête qui s’étend sans fin. La troisième laisse de la troisième strophe est consacrée au décryptage du moteur de cette quête : présence dans l’esprit humain d’une sorte de synthèse du parcours, incarnée par le jeu entre reconnaissance d’une part et mémoire d’autre part. La quatrième strophe (un seul verset) apporte comme la clé de l’énigme de cette quête : elle fonde la définition même de l’homme, sans laquelle surgit le « reniement » (opposé au « renouement » évoqué dans le chant 4 de la troisième partie du poème – alors même qu’il était question, justement, de la teneur du souffle, pour l’homme) : « Ici la grève et la suture. Et au-delà le reniement… » ; mais ce « reniement » est aussi celui qui guette l’homme dans la poursuite absurde d’une marche sans fin, vouée uniquement au vertige et au vide. Cinquième strophe : lien entre la quête et la finitude du destin humain – « … Et l’homme en mer vient à mourir. S’arrête un soir de rapporter sa course. Capsules encore du néant dans la bouche de l’homme… ». Toute cette cinquième strophe est heurtée par un rythme qui conduit le voyageur au bord de l’abîme, comme en atteste les points de suspension qui enserrent le propos, lui-même conditionné par cette sorte de surenchère spatiale (« Plus loin » ; « Et au-delà, et au-delà »). On est très clairement placé à la fin d’un cycle de tension maximale ; la suite du poème doit déboucher sur une solution à cette ivresse.




Chant 3 (p. 71)


Ce chant est le véritable tournant de Vents. Il met un terme à l’inexorable poussée vers l’Ouest dans laquelle était engagé le poème. Essentiellement, il s’agit de l’intervention d’une « main invisible » qui arrête le voyageur sur son chemin d’une quête insatiable, qui l’a mené aux confins de l’espace terrestre, vers cet Ouest devenue une image de l’infini, et le retourne littéralement, en direction de l’Est, et de la société des hommes : « Et à celui qui chevauchait en Ouest, une invincible main renverse le col de sa monture, et lui remet la tête en Est. ». Il est donc question d’un renversement radical de l’option qui a motivé le poème jusqu’alors, et qui a consisté à suivre le souffle des grands vents, quitte à délaisser la communauté humaine, pourvu que fût assumé la destinée d’un dépassement constant. Pourtant, le déroulement du poème a apporté jusqu’ici un sens à ce dépassement, qui est la conquête d’une nouvelle connaissance, d’un substrat renouvelé de la conscience. Or, poursuivre la quête au-delà du sens revient à en annuler le fondement ; il s’agit donc de se détourner de cette surenchère et d’une sorte de fanatisme spiritualiste ou d’un solipsisme (le voyageur, le poète, était seul engagé dans cette quête), pour faire retour vers la société humaine. La fonction du poète a déjà été très clairement située « parmi » les hommes, et il est donc inutile voire dangereux de poursuivre cet éloignement de la multitude (qui fut salutaire à l’origine). Il s’agirait même d’une désertion : « ”Qu’allais-tu déserter là ?…” » La grande brièveté du chant est donc tournée avant tout vers ce renversement, ce retour au réel des hommes.

Mais la deuxième strophe apporte comme en une sentence suprême, un impératif primordial, l’autre sens de ce renversement : il s’agit, dans l’éclair (symbole du « Balafré) d’une sorte de révélation, de synthétiser en somme tout ce que le poème a longuement développé (et abondamment encore dans les chants précédents), à savoir l’essentiel de la tension qui provient de cette quête suggérée par les grands vents. C’est ce dont doit se souvenir, comme d’un message supérieur et violent, le voyageur qui a été embarqué dans la quête : disons-le trivialement, le niveau exacerbé d’exigence, d’élévation spirituelle (et avec cette notion, tout ce qu’elle comporte qui a été exposé : l’élan vital, l’énergie ontologique…) : c’est ce que métaphorise superbement l’image d’ « une âme plus scabreuse », le tout, avec ce jeu d’allitération et d’homophonie avec la « bête haut cabrée », symbolisant elle-même cette résistance de l’âme engagée dans un dépassement extrême, voire extrémiste, et forcée à se plier au contrôle du destin – cette « monture » ayant vu son col renversé par le surgissement de l’ « invisible main » : idée constante chez Perse de la maîtrise.

L’ensemble doit marquer l’esprit et devrait, selon l’agencement choisi, constituer un peu la substance éthique du poème, la trace de tout cet engagement dans une quête profonde qu’on a vu se déployer jusqu’alors. Ce chant 3 incarne effectivement la charge spirituelle de Vents.



Chant 4 (p. 72-75)


Suivant le tournant du chant précédent, le motif dominant de ce chant 4 est celui du retour du poète parmi les hommes. On pourrait y distinguer trois thèmes :


1) Le retour du poète, prodigue par excellence : c’est par lui qu’est passé l’enseignement essentiel du souffle porté par les vents, et c’est en lui que s’exprime l’exigence d’élévation spirituelle. Sa présence parmi les hommes, iconoclaste à l’origine, résulte ici de ce retour amorcé au chant précédent, après le choix, ou plutôt la sommation de se détourner de la quête extatique au profit d’une action au sein de la communauté humaine. Première et deuxième strophe : malgré sa position de dissident radical, le poète doit se réinsérer dans la communauté des hommes et y trouver sa voie (troisième strophe, deuxième laisse : « Nous faudra-t-il, avant le jour, nous frayer route d’étranger jusqu’à la porte de famille ? » ; Et c’est l’heure, ô Mendiant ! où sur les routes méconnues l’essaim des songes vrais ou faux s’en va encore errer le long des fleuves et des grèves, autour des grandes demeures familiales désertées du bonheur »).


2) Le rôle de vigie exercé par le poète : porteur de la révélation fondatrice d’un nouvel ordre, il doit conserver intacte l’exigence de la plénitude d’être qui lui vient des forces qui se sont déployées devant lui. Toute la deuxième strophe en atteste bien, signifiant que le poète a assisté à une sorte de révolution : « ”… Nous avions rendez-vous avec la fin d’un âge. Et nous voici, les lèvres closes, parmi vous. Et le Vent avec nous – ivre d’un principe amer et fort comme le vin de lierre » Accompagné, assisté par la présence du vent, le poète détient une sorte de garantie de son action (troisième strophe : « Et le Vent, ha ! le Vent avec nous, dans nos desseins et dans nos actes, qu’il soit notre garant ! »). Et pour être fidèle à cette garantie d’intensité, le poète rejette toute complaisance et tout compromis dans l’exercice de sa veille (« ”Non pas appelé en conciliation, mais irritable et qui vous chante : j’irriterai la moelle dans vos os… »). Cette attitude même confirme une conception du poète comme aiguillon : tout comme le vent, il « irrite » et éveille l’exigence, d’où le prix et la difficulté de son propos – « (Qu’étroite encore fut la mesure de ce chant !) ». Tout comme au chant 1 de cette quatrième partie du poème (où la substance poétique reposait sur un court laps de temps dont il fallait profiter à tout prix pour être au rendez-vous d’une restitution de l’immanence), le propos du poète est considéré dans une énonciation délicate, tant la parole qu’il délivre est précieuse et fragile. Mais face à cette fragilité de la transmission, s’exerce chez le poète une opiniâtreté sans limites, car il est bien investi de cette fonction de vigie, avec une constance chez lui de l’ « exigence », de la « créance », du « grief », de l’ « échéance » et du « compte » exigé (champ sémantique de la réclamation, et aussi de l’opiniâtreté elle-même) : « ”Et l’exigence en nous ne s’est point tue ; ni la créance n’a décru. Notre grief est sans accommodement, et l’échéance ne sera point reportée. / ”Nous vous demanderons un compte d’hommes nouveaux ». Troisième laisse de la deuxième strophe : définition de la « race » du poète, opposée aux « hommes du nombre et de la masse » – d’où une conception aristocratique du poète comme représentant d’une élite. Troisième laisse : « – Et vous, hommes du nombre et de la masse, ne pesez pas les hommes de ma race. Ils ont vécu plus haut que vous dans les abîmes de l’opprobre. / Ils sont l’épine à votre chair ; la pointe même au glaive de l’esprit. L’abeille du langage est sur leur front, / Et sur la lourde phrase humaine, pétrie de tant d’idiomes, ils sont seuls à manier la fronde de l’accent. » Par un ton qui fait sentir une hiérarchie intrinsèque, un respect total est réclamé pour les poètes, de la part de l’agrégat des hommes du commun, parce qu’il sont les tenants du sens profond de l’éveil spirituel ; il sont les aiguillons indispensables de l’humanité, destinés à l’appeler constamment au dépassement ; ils sont les artisans du langage, outil de l’intelligence de la « lourde phrase humaine » (image à rapprocher de ce passage de « Neiges », IV : « Venez et nous suivez, qui n’avons mots à dire : nous remontons ce pur délice sans graphie où court l’antique phrase humaine »). La quatrième strophe, deuxième et troisième laisses : vigie de l’humanité, le poète reste un dissident, un homme qui a connu la quête et l’errance : « Là nous allions parmi les hommes de toute race. Et nous avions beaucoup vécu. Et nous avions beaucoup erré ».


3) La fin d’une ère ancienne, le début d’une nouvelle ère, avec l’allure de bilan du propos (annonce du chant 5) : deuxième strophe « la fin d’un âge » ; deuxième strophe, deuxième laisse : allusion aux « hommes nouveaux » qui doivent faire face aux temps qui s’annoncent, avec la précision « ”Nous vous demanderons un compte d’hommes nouveaux – d’hommes entendus dans la gestion humaine, non dans la précession des équinoxes. », à savoir qu’il s’agit d’être au cœur de la société humaine (« gestion humaine »). Il s’agit donc de réaliser dans l’ordre humain cette mission d’assistance à laquelle le poète doit être fidèle et en l’occurrence, c’est par l’enseignement de sa science qu’il doit procéder.

Quatrième strophe, première laisse : la fin d’une époque et l’ouverture d’une nouvelle ère qui s’inscrit volontairement de la part du poète dans une insistance sur le futur, manière peut-être de placer l’énergie en amont, dans un avenir toujours prometteur. C’est dans cette temporalisation future que doivent prendre place la perfection et la pureté de nouveaux seuils d’une présence humaine rehaussée (avec la répétition de la figure de l’adresse directe aux « rives futures », déjà présente aux chants 5 et 6 de la première partie) : « ”Vous qui savez, rives futures, où s’inscriront nos actes, et dans quelles chairs nouvelles se lèveront nos dieux, / ”Gardez-nous un lit pur de toute défaillance, une demeure libre de toute cendre consumée… ». Pour toute cette énergie promise, le poète se fonde sur la faveur des « signes » favorables, maniant le symbole dans sa richesse et sa polysémie (troisième laisse : « Et de tels signes sont mémorables – comme la fourche du destin au front des bêtes fastidieuses, ou comme l’algue bifourchue sur sa rotule de pierre noire »).




Chant 5 (p. 76-80)


En s’accordant avec le « programme » de cette quatrième partie institué depuis le chant 1, intervient ici une sorte de « bilan » spirituel du passage des vents auquel le poème a été dédié. Trois thèmes principalement :


1) L’émergence d’un âge nouveau (dans le sillage du chante précédent) : répétition de la figure utilisée au chant 4, avec de surcroît le questionnement de l’émergence d’un nouvel âge et la tension vers cette émergence même – « ”… Nous avions rendez-vous avec la fin d’un âge. Nous trouvons-nous avec les hommes d’un autre âge ? ». Ici, la fin d’un âge ancien va prendre la forme de l’exposition d’une « lassitude » (« Nous en avions assez ») devant cet âge révolu, marquant sa caducité – ce sera le motif même des première et deuxième strophes :

- première strophe, deuxième laisse : réexposition de la tension radicale et inépuisable vers l’élévation spirituelle – « ”Les grandes abjurations publiques ne suffiraient à notre goût. Et l’exigence en nous ne s’est point tue. / ”Il n’y a plus pour nous d’entente avec cela qui fut. ». La complaisance par rapport à l’âge ancien est désormais impossible.

- à la troisième laisse, débute alors l’exposition d’une lassitude de la tiédeur : « ”Nous en avions assez de ces genoux trop calmes où s’enseignait le blé », qui s’accorde bien avec l’exclamation de la troisième strophe : « Ô tiédeur, ô faiblesse ! ». S’ensuivent alors de longues énumérations descriptives de ces aires où règnent aux yeux du poète, la tiédeur et le petit bonheur facile : ces territoires ruraux ou bourgeois où dominent la satisfaction et l’entre-deux, le confort douillet, représentent bien tout ce qui doit être combattu, aboli dans l’ordre ancien des sociétés humaines. Le thème est fréquent chez Perse.

- deuxième strophe, première laisse : la parole du poète n’aurait pas de sens pour une communauté humaine rongée par la témérité. Parallèlement, à la troisième strophe, répudiation radicale de le « prudence », comme risque mortifère : « Ah ! quand les peuples périssaient par excès de sagesse, que vaine fut notre vision !… ». Les énumérations descriptives suivent jusqu’à la troisième laisse : confirmation de ce rejet, de ce dégoût de la tiédeur des sociétés agraires et bourgeoises.

- troisième strophe : continuation de cette condamnation de la prudence et de tout ce qu’elle générait comme mollesse, avachissement de l’être – « ”Nous en avions assez, prudence, de tes maximes à bout de fil à plomb, de ton épargne à bout d’usure et de reprise ». Condamnation de l’argument de la « raison » dissimulée derrière la prudence : il s’agirait pour le poète d’un prétexte à répudier. L’épargne incarne ces mœurs de prudence, et est donc rejetée. En somme, tout ce qui s’oppose à l’énergie est repoussé.



2) Tension vers l’émergence de ce nouvel âge : première strophe – « Avec vous, et le Vent avec nous, sur la chaussée des hommes de ma race ! ». Les poètes, aux côtés des hommes, sont des guides vers ce nouvel âge. Troisième strophe : exposition de la venue décisive de l’ « idée neuve » (« ”Soufflé l’avoir, doublée la mise – sur toute ruine l’idée neuve !… ») ; motif de l’installation de cette nouvelle réalité dans les éléments naturels : grand chambardement, grand nettoyage, appel à un balayage généralisé : « Qu’on nous débonde tout cela ! Qu’on nous divise ce pain d’ordure et de mucus. Et tout ce sédiment des âges sur leur phlegme ! » ; toute la deuxième laisse (cf.) ; troisième laisse : l’élément des « laves », ce qui dévale les pentes après une irruption volcanique, appelant destruction, mais nettoyage, renaissance. C’est aussi le vent qui permet le « jaillissement soudain » de « la plus haute vague » ; c’est lui qui amène jusqu’au « débouché en mer vers les eaux vertes ». Le vent est l’agent agissant de cette renaissance. La cinquième strophe confirme l’avènement d’une renaissance : « Un vent du Sud s’élèvera-t-il à contre-feu ? Inimitiés alors dans le pays. Renchérissement du grain. Et le lit des jeunes hommes demeurera encore vide… Et les naissances poétiques donneront lieu à enquête… »


3) Détermination à faire émerger ce nouvel âge : c’est le sens même de l’appel qui irrigue la sixième strophe, précédée d’une réitération du constat de la venue de ce nouvel âge – « Et c’est temps de bâtir sur la terre des hommes. Et c’est regain nouveau sur la terre des femmes. ». L’exhortation est à son comble (et avec elle, la hâte, rappelée ici encore : « ”– Se hâter ! Se hâter ! Parole du plus grand Vent !” ») : il « est temps » de se diriger vers cette émergence, en relevant le défi d’une construction nouvelle. « ”Ouvrez vos porches à l’An neuf !… Un monde à naître sous vos pas ! hors de coutume et de saison !… ». L’enthousiasme exprimé ici fait écho à l’énergie qui doit émerger avec cette nouvelle ère.

Tout comme au chant 4, le poète assume sa position propre, qui est celle d’œuvrer à cette émergence fondatrice, sens même de sa fonction : « ”Je hâterai la sève de vos actes. Je mènerai vos œuvres à maturation. / ”Et vous aiguiserai l’acte lui-même comme l’éclat de quartz ou d’obsidienne. » ; « ”Et le poète est avec vous. Ses pensées parmi vous comme des tours de guet. Qu’il tienne jusqu’au soir, qu’il tienne son regard sur la chance de l’homme ! ». Ces engagements multiples et ambitieux de la part du poète sont à la mesure de la fonction de vigie et de guide qu’il se reconnaît au sein de la société des hommes : il ouvre la voie aux hommes, qui devront réaliser concrètement sa vision : « ”Je peuplerai pour vous l’abîme de ses yeux. Et les songes qu’il osa, vous en ferez des actes. Et à la tresse de son chant vous tresserez le geste qu’il n’achève… ». C’est une co-responsabilité qui induit par conséquent la relation du poète envers les hommes.




Chant 6 (p. 81-82)


Clôture de ce bilan initié au chant 5, de ce passage des « très grands vents », toujours sur cette renaissance, cet avènement d’une ère nouvelle. Le motif par lequel s’ouvrait le poème est repris : « … C’étaient de très grands vents sur la terre des hommes », manière de placer le poème sous une instance cyclique qui aurait pour théâtre la permanence de ces forces disproportionnées. Ayant connu tout le processus qu’on a vu se déployer tout au long du poème, ces vents prennent ici la direction, non d’un souffle primaire, mais d’une restitution aux hommes de l’élan vital qui leur permet d’accomplir une renaissance (« Qui nous tenaient hors de coutume et nous tenaient hors de saison, parmi les hommes coutumiers, parmi les hommes saisonniers, / Et sur la pierre sauvage du malheur nous restituaient la terre vendangée pour de nouvelles épousailles »). Pour l’avènement de ce renouveau, les vents offrent aux hommes « le luxe de l’inaccoutumance », selon une expression de Saint-John Perse.

L’humanité émergente en cet âge est bien conçue comme éminemment nouvelle, comme en atteste la fréquence du terme dans ce chant : « hommes nouveaux » (première et deuxième laisses) ; « nos façons nouvelles » (deuxième laisse) ; « de nouvelles épousailles » (deuxième laisse) ; « abeille nouvelle » (première laisse) ; « race nouvelle « (huitième laisse : « Une race nouvelle parmi les hommes de ma race, une race nouvelle parmi les filles de ma race »). Le poète est encore saisi comme étant le porteur de ce renouvellement : « et mon cri de vivant sur la chaussée des hommes, de proche en proche, et d’homme en homme, / Jusqu’aux rives lointaines où déserte la mort !… ». La dimension d’éclatement des frontières temporelles du destin de l’homme, de sa finitude, est engagée dans cette mention si particulière, promise à cette « race nouvelle » comme tribut de la renaissance accomplie.

Dans ce renouveau, se joue un bouleversement total de la réalité humaine, et il n’est jusqu’au malheur lui-même qui ne soit déjoué – sixième laisse : « Ô vous que rafraîchit l’orage, la force vive et l’idée neuve rafraîchiront votre couche de vivants, l’odeur fétide du malheur n’infectera plus le linge de vos femmes. »

Le poème, trace du passage des vents, a permis et permettra cette renaissance existentielle – septième laisse : « Et nos grands thèmes de nativité seront-ils discutés chez les doctes ? » ; « Et nos poèmes encore s’en iront sur la route des hommes, portant semence et fruit dans la lignée des hommes d’un autre âge ».



Chant 7 (p. 83)


L’image conclusive du poème porte en elle la ratification de tout ce qu’a poursuivi sa course, à savoir un profond renouvellement : l’arbre du langage, asséché au début du poème, a été ravivé, revivifié dans sa sève et dans sa force : « Quand la violence eut renouvelé le lit des hommes sur la terre, / Un très vieil arbre, à sec de feuilles, reprit le fil de ses maximes… ». Le langage lui-même est renouvelé par ce souffle salvateur qui a agi tout au long du poème, permettant dans le même temps l’émergence d’un nouvel arbre, symbole du nouvel âge : « Et un autre arbre de haut rang montait déjà des grandes Indes souterraines, / Avec sa feuille magnétique et son chargement de fruits nouveaux. ». Le renouveau est donc double : le langage lui-même est restitué à son intégrité d’énergie, et la croissance d’un monde nouveau peut être vécue.